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Le futur cosmodrome russe attendra

L’année spatiale se termine en demi-teinte avec un tir de satellite raté et de gros doutes sur les orientations futures

Des ingénieurs effectuent des tests sur un prototype de vaisseau spatial au cosmodrome russe de Vostochny, dont la construction devrait s’achever en 2016. — © Igor Ageyenko/Sputnik
Des ingénieurs effectuent des tests sur un prototype de vaisseau spatial au cosmodrome russe de Vostochny, dont la construction devrait s’achever en 2016. — © Igor Ageyenko/Sputnik

Hier, le 15 décembre, le lanceur russe Soyouz a acheminé avec succès trois spationautes à bord de la Station spatiale internationale. Cette réussite ne saurait cependant occulter que la fin de l’année 2015 est entachée par plusieurs mauvaises nouvelles pour le secteur spatial russe. Un satellite d’observation à double usage de nouvelle génération (Kanopouss-ST), dont l’élaboration a pris 15 ans, s’est désintégré dans l’atmosphère le 8 décembre après avoir échoué à se détacher de l’adaptateur le fixant au lanceur Soyouz 2-1. Kanopouss-ST devait, entre autre, permettre aux militaires russes de repérer les sous-marins ennemis.

Le budget spatial russe a été sévèrement revu à la baisse à cause de contraintes budgétaires liées à la crise économique. L’agence spatiale Roscosmos a indiqué lundi dernier que son budget pour les dix prochaines années sera de 1500 milliards de roubles (21,3 milliards de francs), soit moins de la moitié de ce que le Kremlin avait promis en début d’année (3400 milliards de roubles). C’est la troisième correction à la baisse en 2015.

Mais surtout, Moscou a échoué dans la course à la montre que se sont imposé les autorités russes pour la construction du nouveau cosmodrome de Vostochny («oriental» en russe, parce qu’il est situé en extrême-orient, non loin de la frontière chinoise). Le tir inaugural n’aura pas lieu comme prévu pour le Noël catholique du 25 décembre, mais le 12 avril 2016, si tout se passe bien.

Pour les experts, les délais imposés n’ont pas de sens et s’expliquent par une obsession très russe pour les dates symboliques et la peur du chef. «Si le premier tir prévu devait être en 2015, c’est parce que cela figurait dans l’oukase du président Poutine signé en 2007. L’ordre du président doit absolument être exécuté, même s’il date de huit ans», ironise Andreï Ionine, membre de l’Académie spatiale russe. «Dorénavant, la date fixée est le 12 avril, parce que c’est une date symbolique [la fête de l’espace, ndr]. Je ne suis pas partisan de ces traditions soviétiques».

L’expert spatial indépendant Anatoly Zak estime qu’un délai est parfaitement normal et ne remet pas en cause Vostochny comme «un succès remarquable pour la Russie et ses ingénieurs». Il raille «Le gouvernement et ses médias affiliés s’offusquent des menaces sur les délais fixés par le président, comme si quelque chose d’irréversible allait se produire parce que le calendrier irréaliste n’est pas respecté».

De fait, Vostochny s’est embourbé dans une succession de scandales autour de détournements de fonds publics. 220 personnes sont visées par une vingtaine d’affaires criminelles. Cet été, devant le retard que prenait la construction, les autorités ont même fait appel à une «brigade» de 1200 étudiants (sous payés) pour effectuer le gros-oeuvre, ressuscitant une pratique soviétique détestée par la jeunesse. Peu avant, d’importants retards de salaires avaient poussé 720 ouvriers à un mouvement social émaillé de grèves de la faim.

Le feuilleton s’est emballé ces deux dernières semaines, au cours desquelles trois dirigeants d’entreprises travaillant sur le chantier ont été accusés de malversations pour une somme dépassant les 10 millions de francs. Une goutte d’eau à l’échelle du coût total de Vostochny, estimé à 180 milliards de roubles (2,6 milliards de francs) par le patron de Roscosmos Igor Komarov. D’autres estimations atteignent les 400 milliards de roubles (5,6 milliards de francs).

Vostochny sera le troisième cosmodrome de l’industrie spatiale russe, qui utilise pour l’instant Baïkonour (au Kazakhstan) et Plesetsk (grand nord de la Russie, réservé aux appareils militaires). Vostochny comptera à terme 10 pas de tirs pour des vols habités et automatisés. Il deviendra le principal cosmodrome pour les lanceurs de nouvelle génération (famille Angara) qui remplaceront les lanceurs lourds Proton.

Deux pas de tirs sont prévus pour les lanceurs Soyouz-2. «Vostochny est construit pour réduire la dépendance de la Russie envers Baïkonour, dont la location revient très cher [115 millions de dollars par an, ndr] sans compter les amendes en cas d’échecs», souligne Ivan Moïseev, directeur de l’Institut de politique spatiale. «Le coût de construction est raisonnable par rapport au budget du pays, et il est étalé dans le temps». Moïseev ajoute que «le premier tir depuis Vostochny sera l’événement spatial à suivre en 2016».

Situé à des milliers de kilomètres des centres industriels et scientifiques du secteur spatial russe, Vostochny reste controversé à cause des coûts logistiques et techniques qu’il entraîne. Sa localisation six degrés au nord de Baïkonour force à réduire la masse placée en orbite. Il pose également des risques écologiques: en cas de lancement raté, de graves incendies forestiers pourraient être déclenchés, dans une région qui en a déjà beaucoup souffert.

À l’origine partisan de Vostochny, Andreï Ionine se dit très déçu de voir l’Etat réduire la voilure car «l’objectif de départ était de faire du cosmodrome la base du développement de l’extrême-orient russe. Pas seulement des pas de tir, mais un centre scientifique attirant les industries de pointe et les jeunes diplômés. La Russie doit se tourner vers l’est, vers le marché de la zone Pacifique. Or, personne ne crée de base technologique autour du cosmodrome, qui va au final copier Kourou: un îlot au milieu de la jungle». De 2016, Ionine n’attend pas tant les premiers tirs depuis Vostochny qu’une «véritable stratégie spatiale russe. L’Etat doit définir des orientations claires, c’est là que se situe le problème».