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Des chercheurs du monde entier se sont récemment réunis à Genève pour discuter du développement des sciences participatives. Cette méthode invite la population à contribuer à la recherche. Une ouverture enthousiasmante, mais perfectible

Compter des pingouins sur une série d’images, recenser les papillons dans son jardin ou mesurer la pollution près de chez soi… les projets dits de sciences citoyennes, qui intègrent le public à la recherche, se multiplient. Des scientifiques du monde entier ont partagé leur expérience dans ce domaine lors de la Conférence internationale de l’European Citizen Science Association (ECSA), organisée la semaine dernière à Genève.
Premier constat, les sciences citoyennes offrent des possibilités infinies. «Les chercheurs profitent de la dispersion des humains sur de grandes surfaces, de leur temps libre et de leur volonté de participer pour récolter des données. Il s’agit d’un partenariat», explique Bruno Strasser, directeur du laboratoire Bioscope de l’Université de Genève et historien des sciences.
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Lors de son discours d’ouverture, le chercheur genevois a insisté sur l’importance d’être attentif aux besoins de la population. Avec ce conseil qui a interpellé le parterre d’experts: «Ecoutons les communautés et soyons plus modestes.» Le scientifique descend de son piédestal pour aller au contact du grand public, sur le terrain.
Carte des zones polluées
L’organisation américaine Public Lab en a fait son atout. En 2010, la plateforme pétrolière Deepwater Horizon explose dans le golfe du Mexique. Un désastre écologique: la marée noire atteint rapidement les côtes de la Louisiane. Pour mesurer l’ampleur de la catastrophe, Public Lab élabore une cartographie aérienne des zones polluées. Un dispositif fait de bric et de broc. Des appareils photos bon marché sont envoyés dans les airs à l’aide de ballons ou de cerfs-volants, le tout stabilisé avec des bouteilles d’eau.
La directrice de l’organisation, Shannon Dosemagen, est revenue sur cette aventure couronnée de succès. Environ 250 personnes ont participé au projet, dont des étudiants, des pêcheurs ou encore des citoyens sensibles aux questions environnementales. «Le travail qui a été fait pendant la marée noire a fait ressortir la question de l’échec du système de gouvernance censé protéger les gens», a souligné la spécialiste.
La recherche participative peut être un outil pour désamorcer une certaine critique de la science
Les sciences participatives combleraient donc un vide, en s’appuyant sur les savoirs de la population. Dans la salle communale de Plainpalais, des chercheurs enthousiastes ont présenté leurs projets collaboratifs. Certains veulent contribuer modestement à la science, quand d’autres espèrent changer le monde. Vivre une expérience collective est également une grande source d’enthousiasme.
Le projet zurichois CrowdWater a ainsi imaginé un réseau social d’un nouveau genre. L’application mobile propose de mesurer le niveau du cours d’eau près de chez soi, les données sont accompagnées d’une photo du lieu que l’utilisateur peut aimer ou commenter à sa guise. Au-delà de son aspect ludique, la plateforme permet surtout d’anticiper des inondations ou des sécheresses dans des territoires peu surveillés par les pouvoirs publics. «Les locaux connaissent leur rivière ou leur ruisseau beaucoup mieux que nous et nous devons apprendre à les écouter», affirme Barbara Strobl, membre du projet et doctorante à l’Université de Zurich en hydrologie et climat.
Qualité des données
Etre à l’écoute, c’est bien. Mais cela suffit-il à obtenir des données exploitables? Par le passé, de nombreux experts ont exprimé – à juste titre – leurs craintes à ce sujet. Au fil du temps, la science participative a adopté une série de procédures pour éviter les erreurs. Au point que «les données scientifiques des citoyens sont suffisamment bonnes dans 83% des cas étudiés, en comparaison avec des travaux faisant autorité», a assuré Steffen Fritz, coordinateur du projet européen WeObserve.
Ces résultats encourageants semblent montrer que la recherche se démocratise à toute vitesse. Elle reviendrait au temps de Charles Darwin, lorsque la science n’était pas un travail mais un simple loisir. «Les naturalistes amateurs étaient les seuls à recueillir des données et à répondre à des questions scientifiques», a raconté Bruno Strasser. Il s’agissait toutefois d’une élite cultivée, libre de flâner dans les jardins pour découvrir de nouvelles espèces vivantes.
Classes moyennes ou supérieures
De nos jours, les Charles Darwin en herbe n’ont pas une origine sociale plus variée. Alors que les sciences participatives s’adressent à tout le monde, les participants seraient majoritairement de jeunes hommes blancs issus des classes moyennes ou supérieures. Et la plupart auraient déjà un bagage scientifique. «La promesse de démocratisation tombe un peu à plat», commente Bruno Strasser.
L’historien mentionne encore un autre atout de la recherche participative: «Elle peut être un outil pour désamorcer une certaine critique de la science.» Et cela, alors que le savoir scientifique est aujourd’hui attaqué jusque dans les hautes sphères du pouvoir, comme en témoignent les propos de Donald Trump sur les changements climatiques, qu’il avait qualifiés «d’invention chinoise» durant sa campagne.