L'homme n'est pas le seul être vivant dont le patrimoine génétique intéresse les chercheurs. De nombreux germes responsables de maladies humaines sont aussi sous la loupe. Une équipe américaine vient ainsi de décoder intégralement les deux chromosomes du vibrion cholérique ou Vibrio cholerae, la bactérie responsable du choléra. Cette maladie connaît, depuis une quarantaine d'années, sa septième pandémie mondiale. On sait la soigner, mais elle touche encore durement l'Afrique, où elle cause plusieurs milliers de décès chaque année. Grâce au texte génétique, les scientifiques espèrent mieux comprendre l'évolution du germe et l'apparition de nouvelles souches.

L'étude, publiée le 3 août dans la revue Nature, a été réalisée par le Tigre («The Institute for Genomics Research»). C'est dans ce même laboratoire qu'a été mise au point la méthode de «lecture» des gènes utilisée par le projet privé de décryptage du génome humain, celui de la société Celera Genomics. Cette méthode a été appliquée aux deux chromosomes circulaires de la bactérie. Le plus grand d'entre eux comporte près de trois millions de «bases», les constituants élémentaires de la longue chaîne de l'ADN. Le second n'en compte qu'un peu plus d'un million.

Les chercheurs ont constaté que la plupart des gènes connus pour jouer un rôle dans le développement, la reproduction et la vie de l'unicellulaire se localisent sur le plus grand chromosome. Le second comprend un système de «capture de gènes» ainsi que de nombreux gènes d'origine étrangère, ce qui confirme que la bactérie se livre à des échanges d'information génétique. Le petit chromosome comporte aussi des séquences typiques de petites molécules d'ADN qui se reproduisent de manière indépendante dans certaines bactéries, les plasmides. Ces dernières peuvent passer par simple contact d'une bactérie à l'autre, même d'espèces différentes. Certaines portent des gènes de résistance aux antibiotiques qui peuvent ainsi passer rapidement d'une espèce à l'autre. Les auteurs de l'étude supposent qu'un plasmide est à l'origine du second chromosome.

Cette hypothèse illustre l'un des espoirs des scientifiques: comprendre les mécanismes de l'évolution de la bactérie. Celle-ci est manifestement une championne de l'adaptation. Il en existe de nombreuses souches, pas toutes pathogènes, qui évoluent en se transmettant des gènes afin de produire de nouvelles toxines, de résister à des milieux hostiles ou encore de devenir insensibles à certains antibiotiques.

L'histoire du choléra est ainsi rythmée par l'apparition de nouvelles souches. En 1961, un nouveau type de Vibrio cholerae, nommé «el Tor», a causé une épidémie aux Philippines, et s'est répandu dans le monde entier, causant la septième pandémie mondiale de choléra, alors que la maladie était restée confinée au sud de l'Asie pendant plusieurs décennies. L'Afrique de l'Ouest, qui n'avait plus connu l'infection depuis plus de cent ans, a été touchée en 1970. Aujourd'hui, c'est sur ce continent que le mal fait le plus de victimes. L'OMS y a recensé une trentaine de milliers de cas, dont plus de deux mille mortels, de janvier à juin de cette année.

Les épidémies sont favorisées par la pénurie d'eau potable et la précarité des conditions de vie. L'homme contracte le vibrion cholérique par ingestion d'eau ou d'aliments contaminés. La bactérie colonise le petit intestin, où elle sécrète une toxine. Cette substance provoque, chez les cellules de la paroi intestinale, un véritable pompage de l'eau du corps vers l'extérieur. Les malades souffrent de diarrhées aiguës, parfois de vomissements, et courent le risque d'une grave déshydratation. Dans les cas les plus graves, la maladie peut conduire à la mort en quelques heures après l'apparition des premiers symptômes.

Les mesures pour combattre cette déshydratation violente sont pourtant simples. Dans la plupart des cas, les malades peuvent compenser les pertes de liquide en absorbant de grandes quantités d'eau additionnée de sel (l'OMS les distribue sous forme de petits sachets). Les patients plus gravement atteints doivent être réhydratés par voie intraveineuse. Si les victimes des épidémies avaient accès assez tôt à ces soins-là, la mortalité du choléra tomberait au-dessous d'1%.

Il existe deux vaccins contre le choléra, administrés par voie orale. Ce traitement n'a jamais été utilisé à large échelle. L'OMS recommande plutôt d'autres mesures dans les communautés menacées ou touchées par le fléau: un approvisionnement suffisant en eau potable, des lieux d'aisance propres et une hygiène draconienne dans la préparation des aliments. Le choléra est un mal de la précarité plus qu'une maladie invaincue, mais son germe recèle bien des secrets de résistance aux antibiotiques, d'adaptation et d'évolution.