Animaux badass
Casser la figure à des ours, refaire le portrait à des loups, défoncer des lynx: le glouton ne s’ennuie jamais. Première lauréate de notre cuvée 2018, cette boule de poils survoltée aime tellement la bagarre qu’elle aurait eu sa place dans «Street Fighter 2»

Les animaux badass, késako? Si vous cherchez les problèmes avec ces bestioles, vous allez les trouver. A coups de cornes, de griffes ou de venins, ce sont des êtres féroces, au comportement qui force le respect. Bienvenue chez eux, en saison 2 après l'été 2017
Glouton? Le mot évoque davantage une bestiole toute mignonne, ou bien des hippopotames en plastique qu’un des plus féroces et des plus terribles animaux de la planète dont il est ici question. Gulo gulo (moquez-vous de son nom, vous rirez moins dans quelques minutes…) est une machine à tuer à quatre pattes, une démembreuse 5000 watts dont on aurait perdu le contrôle et qui se jetterait sur tout ce qui bouge dans un torrent de fourrure, de griffes, de crocs et d’entrailles sanguinolentes.
Comme son parent le ratel, terreur des savanes, le glouton n’a peur de rien et son comportement en fait un des plus badass des animaux de notre série. Ce membre de la famille des mustélidés, qui regroupe entre autres belettes, martres et fouines, est un mammifère d’une quinzaine de kilos à la fourrure allant du marron au noir, parfois colorée de panaches blancs, dont l’ensemble forme un déguisement de panda qui ne trompe personne. Pourvu de pattes trapues et d’une queue touffue, d’une tête et d'un museau larges, il fait penser à un blaireau qui aurait abusé de stéroïdes. «Il ressemble un peu à un ours miniature», corrige Géraldine Veron, zoologiste au Muséum national français d’histoire naturelle à Paris et spécialiste des carnivores.
Si le glouton a recours à la violence, ce n’est pas tant pour chasser que pour le plaisir d’une bonne baston contre des ours, des loups ou des lynx
Autrefois appelé «wolvérène» – wolverine est toujours utilisé en anglais –, le glouton a colonisé à peu près tout l’hémisphère Nord, avec une préférence pour les zones très froides tels que le Grand Nord canadien, la Sibérie ou la pointe septentrionale de la Scandinavie. C’est là, dans les étendues enneigées, que cette boule de nerfs peut pleinement exprimer sa rage. Pas pour chasser, non (encore qu’il soit bien entendu capable de choper des lièvres ou de petits mammifères), mais plutôt pour le plaisir des choses simples telles qu’une bonne baston contre des ours, des loups, ou encore des lynx, prédateurs qu’il moleste allègrement afin de leur voler les (grosses) carcasses (rennes, caribous voire élans) qu’ils s’apprêtaient à déguster. Pourquoi se fatiguer à chasser un orignal, 2 m 20 au garrot, quand on peut le chiper à plus froussard que soi?
La denture du glouton est par ailleurs adaptée au concassage-broyage de gros os, même congelés. «Les dents carnassières, celles qui exercent le plus de force, sont plus développées chez le glouton que chez les autres mustélidés», ajoute Géraldine Veron.
Onze jours de festin
A propos de ces velléités de tunnelier, Evan Buechley en raconte une bien bonne dans la revue Western North American Naturalist. Pour ses recherches, ce biologiste de l’Université d’Utah laisse habituellement trainer des carcasses de bovins dans la nature et les filme pour savoir qui vient les manger. En janvier 2016, il constate que l’une d’entre elles a disparu, un veau de 25 kilos. Intrigué, il consulte les fichiers vidéo et s’exclame (sans doute): «WTF?!» Sur une période de cinq jours, un blaireau d’Amérique, tout proche parent du glouton, est venu creuser des trous sous la carcasse jusqu’à faire effondrer le sol. Le fourbe mammifère, deux fois moins lourd que le veau, a ensuite rebouché le gouffre puis a construit dessous un terrier dans lequel il a festoyé durant onze jours d’affilée, comme au Moyen Age.
Comme tout bon anti-héros badass qui se respecte, le glouton n’a pas de potes. C’est un loubard solitaire, aux sourcils froncés et à l’air mystérieux. Pour les spécialistes, c’est presque un fantôme, tant ses apparitions sont rares (et font peur).
Boule de testostérone
Mais s’il est rare, c’est aussi parce que le glouton gambade furieusement sur des territoires de 800 km de diamètre. Oui, furieusement, car cette entéléchie de la violence pratique la rando, mais en version vraiment énervée. Les déplacements d’un mâle alpha baptisé M3 ont été observés en 2004 dans le Parc national de Glacier dans le Montana grâce à une puce GPS.
Cette outre de testostérone ambulante a grimpé au sommet d’une montagne, abattant 1500 mètres de dénivelé en moins de 90 minutes, de quoi faire méditer Kilian Jornet sur le sens de sa vie. Qu’est-ce que M3 a pu aller bricoler tout là-haut, à plus de 3000 mètres, avant de redescendre aussi sec? Nul ne le sait. Mais il paraît que les femelles gloutons craquent pour ce dur à cuire ténébreux qui n’a de comptes à rendre à personne.
Puisque le nom M3 ne lui rend pas justice, les biologistes qui étudient la bête l’ont surnommée «Mister Badass». Pour marquer ces Joey Starr des neiges, ils les attirent avec des carcasses de castors placées dans de solides cages en bois. Sans surprise, certains gloutons piégés passent en mode déchiqueteuse à bois et prennent la fuite en rongeant leur geôle. Mais pas Mister Badass. Anticonformiste jusqu’au bout de ses griffes semi-rétractiles, il a défoncé une de ces cages non pour en sortir, mais pour y pénétrer. Ni pour se taper un petit castor, mais pour défoncer son sale museau à M6, mâle rival et par ailleurs son ennemi juré.
Non franchement, le glouton, c’est l’avatar des mammifères «vénèr», le parangon des boules de poils enragées. La quintessence de l’animal badass.