Il cite le Mahatma Gandhi et porte l’habit traditionnel indien mais Arun Krishnamurthy n’est pas tourné vers le passé. C’est même l’envie d’améliorer l’avenir qui l’a poussé à abandonner une carrière prometteuse chez Google pour fonder une association de sensibilisation à l’écologie. Depuis bientôt trois ans, le jeune Indien lance des projets de nettoyage et de réhabilitation des lacs urbains, victimes de la croissance exponentielle des métropoles indiennes. Arun Krishnamurthy était la semaine passée à Genève pour y recevoir le Prix à l’esprit d’entreprise, catégorie «Jeunes lauréats», remis par Rolex, qui financera la revitalisation du lac Kilkattalai en périphérie de Chennai, l’ancienne Madras.

«J’ai grandi dans un environnement verdoyant, se souvient Arun Krishnamurthy, né il y a vingt-six ans dans la banlieue de la mégalopole indienne. Je passais la moitié de mon temps au bord du lac à côté de chez moi à observer les oiseaux, les serpents et les grenouilles.» Passionné par la faune et la flore dès son plus jeune âge, il a très vite pris conscience des effets dévastateurs de l’urbanisation effrénée qui touche les grandes villes indiennes.

Choqué de la rapidité avec laquelle le lac de son enfance a été pollué, puis asséché, il a cherché comment lutter contre ce phénomène qui touche la plupart des étendues d’eau aux abords des grandes villes indiennes. Dans un pays où il n’existe pas de système de collecte des déchets, les lacs servent souvent de décharges aux ordures ménagères, mais aussi aux déchets issus de la construction, et de l’activité industrielle.

Impliqué comme volontaire dans des actions locales de sauvegarde de l’environnement quand il était adolescent, Arun attendra d’avoir terminé ses études à l’Indian Institute of Mass Communication de Delhi, et décroché un premier emploi chez Google, pour concrétiser son projet de réhabilitation des lacs.

Quand on lui demande comment il a pris, à 25 ans, la décision d’abandonner une carrière prometteuse pour créer une fondation dédiée à l’environnement, l’Environmentalist Foundation of India (EFI), Arun Krishnamurthy répond du tac au tac: «J’avais enfin identifié le but de ma vie.» Il tient cependant à préciser que son expérience chez le leader des moteurs de recherche a été très importante, que la philosophie de l’entreprise l’a inspiré. «J’ai quitté mes responsabilités professionnelles chez Google, mais les liens émotionnels persisteront toujours.»

C’est en s’autofinançant qu’Arun a lancé son premier projet de régénération d’un lac proche de New Delhi. Il a rapidement été rejoint par d’autres jeunes, inquiets comme lui du devenir des paysages urbains de leur pays. Aujourd’hui, l’EFI compte sept salariés et plus de 300 volontaires actifs, principalement des adolescents, déployés dans neuf grandes villes indiennes. C’est armés de pelles, de râteaux et de seaux qu’ils débarrassent les lacs des détritus dont ils regorgent.

Quand on le félicite pour sa réussite et l’obtention du Prix Rolex, pour lequel plus de 3000 dossiers avaient été déposés, Arun Krishnamurthy, presque gêné, répond: «Ce n’est pas une réussite personnelle; nous sommes tous des volontaires dans ma fondation, et l’investissement de chacun compte tout autant que le mien.» Le jeune indien explique que l’EFI dispose d’un comité de communication et d’un comité scientifique mais qu’il n’y existe aucune hiérarchie. Chacun signe un document qui atteste de son implication dans les projets et tout repose sur la conscience de chacun de sa propre responsabilité.

L’enjeu des projets de l’EFI va au-delà de la régénération des lacs, qui n’est finalement que la partie visible des actions de l’association. Son fondateur explique que son plus gros challenge est de changer la manière de penser et le comportement de ses concitoyens. «Je ne veux pas simplement informer les gens, précise Arun, mais qu’après avoir nettoyé un lac ou suivi une formation sur l’écoconservation, ils puissent eux-mêmes transmettre ces messages.» Et pour toucher le plus grand nombre, Arun utilise le chant et la danse. «Les Indiens adorent danser et chanter, confie-t-il dans un sourire. Nous réécrivons donc les paroles de musiques de films connus pour expliquer nos actions aux villageois.» L’association appuie aussi sa communication sur les réseaux sociaux, Facebook en particulier, très utilisé par les jeunes du pays.

Les 50 000 francs remis par Rolex sont le seul soutien financier qu’Arun Krishnamurthy a reçu jusqu’à maintenant. S’il est très heureux d’avoir reçu ce prix, il souligne cependant qu’«en aucun cas le manque d’argent ne doit être une excuse pour abandonner un projet». Après l’Inde, Arun aimerait ­apporter son expertise à d’autres pays. Il pense au Sri Lanka et au Népal, deux pays voisins de l’Inde confrontés aux mêmes problèmes de pollution et qu’il considère «comme des frères et sœurs».

«Le manque d’argent ne doit pas être une excuse pour abandonner un projet»