Les hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus. Paru en 1992, le livre à succès de John Gray, avec 40 millions d’exemplaires vendus, a attiré l’attention du public sur les différences prétendument innées entre hommes et femmes. Des traits biologiques sont certes différents entre les deux sexes (les gènes ou le taux d’hormones en sont deux exemples), mais les choses sont beaucoup moins claires s’agissant d’autres caractéristiques, notamment comportementales.

Lire aussi: La femme prisonnière des stéréotypes

Exemple phare, le multitasking, ou la capacité de faire plusieurs choses à la fois, est plus volontiers associé aux femmes. Sur un échantillon multiculturel de 488 hommes et femmes, plus de 50% des personnes estiment ainsi qu’hommes et femmes ne naissent pas égaux sur ce point, et parmi ces convaincus, 80% se disent persuadés que les femmes sont avantagées en la matière, comme l’a établi une étude parue dans la revue PLOS One en 2015.

Chasseurs monotâches

Un cliché? La thèse est en tout cas défendue par des scientifiques. Une théorie proposée en 1992 par Irwin Silverman et Marion Eals, deux professeurs en psychologie de l’Université York, au Canada, suggère que la différence remonterait au temps des chasseurs-cueilleurs, époque durant laquelle les hommes auraient développé des capacités monotâche liées à la chasse. Les femmes, occupées à préparer la nourriture et à éduquer les enfants, auraient quant à elles subi de plus fortes pressions à combiner plusieurs tâches. En d’autres termes, l’inégalité entre les genres sur ce point ne serait ni plus ni moins que le résultat de la sélection naturelle. Il va sans dire que cette thèse, en justifiant des comportements par une force biologique supérieure, est fortement controversée.

Le stéréotype est si puissant qu’il en devient performatif: on se persuade qu’il est vrai et on en arrive à voir des femmes qui en tirent de la fierté

Isabelle Collet, du groupe universitaire Genre et rapports intersectionnels en formation et éducation de Genève

Toujours dans les années 1990, la mise en évidence d’un corps calleux – la structure reliant les deux hémisphères cérébraux – plus épais chez les femmes fut un autre argument biologique en faveur du multitasking genré. Las, «on a depuis compris qu’une structure cérébrale différente ne signifie pas forcément un comportement différent», tempère Isabelle Collet, du groupe universitaire Genre et rapports intersectionnels en formation et éducation de Genève. «De plus, avec des échantillons suffisamment grands, on n’observe plus de différence d’épaisseur significative entre hommes et femmes.»

Sur nos blogs: Pourquoi le multitasking est mauvais pour le cerveau

Alors, où en sommes-nous? A bien y regarder, la science n’a jamais véritablement tranché sur la question du multitasking. Mais une nouvelle étude parue le 14 août, également dans PLOS One, suggère que le supposé avantage des femmes dans ce domaine relèverait plutôt du mythe.

Patricia Hirsch et son équipe de l’Université d’Aix-la-Chapelle ont demandé à 96 participants, 48 hommes et 48 femmes, de se prêter à un test faisant intervenir deux tâches de classement de chiffres ou de lettres. Les cobayes devaient, en appuyant sur des touches avec l’index ou le majeur, les classer selon qu’il s’agissait de consonnes ou de voyelles d’une part, ou de chiffres pairs ou impairs d’autre part. Les tâches étaient à faire soit successivement pour évaluer les capacités de multitasking dit séquentiel, soit simultanément pour mettre au défi le multitasking concurrentiel.

Aussi nuls

Les scientifiques ont mesuré les temps de réaction des hommes et des femmes, ainsi que la justesse de leurs réponses. Résultat, pour les deux types d’exercices, jongler entre deux tâches entraîne sans surprise des scores moins bons et des temps de réaction plus longs, comparativement à une tâche unique. Mais surtout, aucune différence significative n’a pu être établie entre les deux sexes, quel que soit le type de multitasking mobilisé. En résumé, hommes et femmes étaient aussi nuls lorsqu’il s’agissait de faire plusieurs choses à la fois.

Question réglée? Les auteurs l’admettent, de tels exercices diffèrent grandement de situations de la vie réelle nécessitant par exemple une planification des stratégies à adopter. Mais, notent-ils, «considérant uniquement les processus cognitifs mis en jeu dans cette expérience […], les hommes et les femmes s’en sortent aussi bien, ou aussi mal».

A priori, donc, hommes et femmes font match nul. Pour en finir avec ce cliché, c’est au niveau social qu’il reste du travail à fournir, d’après Isabelle Collet: «Le stéréotype est si puissant qu’il en devient performatif: on se persuade qu’il est vrai et on en arrive à voir des femmes qui en tirent de la fierté, et des hommes qui se défaussent des tâches multiples.» Au hasard, des tâches ménagères?