Un plateau sur lequel est allongée une femme d’une cinquantaine d’années. Côté tête, un imposant appareil, sorte de gros fer à cheval de trois à quatre mètres d’envergure, tourne autour de la patiente telle une mâchoire infernale. Pour le profane, l’engin a de quoi impressionner. Mais ici, dans le sous-sol du bâtiment de radio-oncologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), ce n’est que routine.

Tout cet attirail médical n’est autre qu’un Linac, accélérateur linéaire de particules utilisé quotidiennement à des fins de radiothérapie chez des patients atteints de cancers. Ainsi installés, ils reçoivent une dose de rayons ionisants qui détruisent leurs cellules tumorales.

La session à laquelle a assisté Le Temps était cependant inédite: il s’agissait de la première administration, en Suisse, d’un type particulier de radiothérapie dite stéréotaxique guidée par GPS, chez une patiente souffrant d’un cancer du poumon à un stade précoce.

Lire aussi: Contre le cancer, une appli rallonge la durée de vie

La technique, déjà éprouvée dans les cancers cérébraux ou de la prostate, augmente la précision de la radiothérapie de manière spectaculaire. Elle est basée sur la géolocalisation de la tumeur en trois dimensions grâce à un système de coordonnées spatiales calculées par un équipement fraîchement acquis par les HUG, le Calypso de la société américaine Varian.

Double tranchant

Administrée dans le monde entier, la radiothérapie demeure un outil à double tranchant. Lorsque les rayonnements ionisants pénètrent dans l’organisme, les médecins doivent s’assurer que seule la tumeur visée, et non les cellules saines à proximité, sera détruite. «C’est d’autant plus important lorsque la tumeur est située près d’organes vitaux, tels que le cœur ou la moelle épinière», affirme Francesca Caparrotti, radio-oncologue responsable du traitement des cancers thoraciques aux HUG.

Lire aussi: La théranostique, nouvelle arme anticancer

Les tumeurs sont donc habituellement repérées lors d’un examen préalable par scanner, et les rayons dirigés dessus lors de la radiothérapie. Ce ciblage se complique encore un peu plus dans le poumon, dont les mouvements respiratoires peuvent déplacer la tumeur de quelques millimètres, voire davantage.

La radiothérapie stéréotaxique par GPS permet de s’affranchir du problème. Informé en continu de la position de la tumeur, le Linac s’arrête automatiquement dès que celle-ci se décale un peu trop. Il ne reprend son activité que lorsque la tumeur revient en place. «Grâce à ce nouvel instrument, nous pouvons désormais suivre en temps réel le nodule cancéreux, pour mieux le cibler et épargner ainsi les tissus sains», se réjouit la cancérologue.

Comme dans les avions

Pour savoir où se situe la tumeur, les médecins l’équipent d’un module GPS. Comme ceux présents dans les smartphones ou les voitures, il envoie des signaux permettant de le localiser. Pas à des satellites bien sûr: la précision est ici de l’ordre du dixième de millimètre. Pour y parvenir, trois transpondeurs sont insérés dans la tumeur par bronchoscopie avant le traitement. Ces implants de la taille d’un gros grain de riz et ressemblant à de petits grappins sont le même genre d’instruments installés dans les avions afin d’indiquer leur positionnement aux radars.

Chacun des trois implants émet son propre signal électromagnétique que capte une antenne rectangulaire jouant le rôle du radar, située juste au-dessus du thorax du patient.

En bout de chaîne de traitement des signaux, un logiciel indique le positionnement spatial exact de chaque transpondeur et donc de la tumeur, en continu et en temps réel.

Nouvelle option

La patiente, qui en est à sa troisième session sur les huit prévues, vient de s’installer sur la table d’examen. «Elle doit recevoir une forte dose de radiations, soit 7,5 grays, en un court laps de temps», explique Francesca Caparrotti.

Lire aussi: Cancer, l’humain avant tout

Dans la salle adjacente, radio-oncologues, physiciens médicaux et techniciens se réunissent autour des écrans de contrôle. Lorsque la radiothérapie démarre, le ronronnement du Linac se fait entendre. Sur l’un des écrans s’affichent trois courbes sinusoïdales représentant les déplacements de chaque implant enregistrés lors de la respiration ou des mouvements de la patiente. Cette dernière, parfaitement immobile, n’a pas déclenché un seul arrêt des rayonnements. Elle quitte la pièce moins de deux minutes après le début du traitement.

«Pour les patients, la radiothérapie stéréotaxique pulmonaire constitue une nouvelle option de traitement local en plus de la chirurgie», commente Benjamin Besse, de l’unité cancer thoracique à l’Institut Gustave-Roussy à Villejuif, qui propose ce traitement depuis deux ans. Bien qu’efficace, l’ablation chirurgicale d’un lobe pulmonaire ou d’un poumon ne peut être proposée à tous les patients, surtout lorsque leur condition respiratoire est trop dégradée. Dans ces conditions, toute nouvelle technique complétant l’arsenal médical est bienvenue. Les deux traitements sont-ils équivalents? «Les effets secondaires de la radiothérapie stéréotaxique sont le plus souvent modestes. Mais nous manquons encore d’études randomisées comparant les deux», poursuit l’oncologue.

Il est rejoint sur ce point par Francesca Caparrotti. «Comparée à la radiothérapie stéréotaxique classique, cette technique guidée par GPS est plus précise et moins risquée, c’est toujours un plus pour la qualité de vie du patient.» En cas d’expérience positive, les HUG pourraient l’étendre aux cancers gynécologiques ou du foie.