«Les sceptiques du début font boule de neige»

Le Temps: Les 548 pétitionnaires [jeudi soir] critiquent la gestion du Human Brain Project (HBP). D’aucuns contestent l’omnipotence du directeur, Henry Markram…

Patrick Aebischer: Pour tous les projets initialement portés par un seul homme, c’est pareil: il faut que son idée prenne, puis que d’autres aspects soit développés de manière «bottom up», en venant de la base. Tout cela est en train de se mettre en place, même si on est encore dans une phase de transition. Je ne crois donc pas que l’on critique Henry Markram pour cela. Dans le Conseil des directeurs, personne ne s’est plaint. Les décisions ont été prises démocratiquement, par vote. Ce que l’Europe reconnaîtra. Je ne crois pas que le problème soit fondamentalement du côté de la gestion.

– Comment expliquer qu’autant de signatures aient été récoltées depuis dimanche soir seulement?

– Depuis le début, il y a eu des gens sceptiques et réservés. En Suisse, ce sont toujours un peu les mêmes. Maintenant, ils font boule de neige: parmi les signataires, il y a leurs amis, leurs post-doctorants et doctorants. Il y a certes des scientifiques reconnus qui se disent contre le projet, et aussi de nombreux autres, neurobiologistes, qui le soutiennent. Comme vous le savez, il a fallu s’adapter aux nouvelles demandes administratives de l’UE [lire LT du 8.7.2014], et pour cela redimensionner la part liée aux recherches de base en neurobiologie. Certaines personnes de ce domaine, qui pensaient recevoir des fonds pour leurs affaires courantes, ont été déçues. Elles sont maintenant invitées à postuler à nouveau pour des fonds. Cela dit, il y a toujours eu cette opposition entre «big science», pour laquelle de gros instruments sont d’abord nécessaires [tels ceux envisagés pour le HBP], et la science fondamentale basée sur la curiosité. Notamment pour l’octroi des fonds de recherche. Certains neuroscientifiques croient qu’ils en auront moins parce que le HBP devra être, pour les «projets partenaires», soutenu en partie par l’argent public suisse. Or ce n’est pas le cas: même le Fonds national suisse le dit, ce projet n’impactera pas les moyens dont il dispose pour les requêtes de fonds traditionnelles qu’il reçoit.

– L’exclusion implicite de ces chercheurs en neurosciences de base aurait-elle pu être évitée?

– En réalité, beaucoup de neurobiologistes n’ont jamais compris que le HBP soit un projet lié à la Division ICT [pour Information and Communication Technologies] de l’UE, donc plutôt technologique. Et qu’il n’est pas une initiative pour faire de la neurobiologie expérimentale de base. Dans le cadre des projets «Flagship», Bruxelles veut attribuer des fonds à des projets structurés et visionnaires, dont l’issue est substantielle, pas pour multiplier ce qui se fait déjà en recherche de base.

– Cette dernière, et les chercheurs qui la représentent, ont-ils été inclus dans le descriptif du projet initial pour qu’il soit plus largement ou facilement accepté?

– Les neurobiologistes sont partie prenante du projet et, de ce que je connais de son évolution, il n’y a pas eu volonté d’exclusion de la neuro­science en soi. Cela dit, a-t-on parfois été trop loin dans les promesses aux chercheurs? Il y a toujours des discussions à ce sujet. Mais à nouveau, au contraire, je pense justement que le HBP et ses plateformes qui seront disponibles à la fin de la phase de lancement en 2016 seront un instrument fantastique pour la recherche fondamentale et qui, bien que faisant débat tant il coûte cher au début, pourra être utilisé par toute la communauté.

– Cette polémique arrive à un moment délicat dans les négociations entre la Suisse et l’UE…

– Le projet HBP est en train d’être transféré entre des entités de deux programmes-cadres de la recherche européenne successifs (FP7 et Horizon 2020). Il y a des redistributions d’argent, de nouvelles discussions. On reconnaît la contribution importante de la Suisse. Mais, du point de vue tant financier qu’intellectuel, je vois mal la Suisse mener seule ce projet. Et je ne vois pas l’UE le réaliser sans la Suisse. Pour l’heure, selon les premières réactions de Bruxelles, il y a un fort soutien pour ce projet.