Les scientifiques l’appellent «l’effet pare-brise». Depuis plusieurs décennies, le nombre d’insectes s’écrasant sur les pare-brise des voitures semble en constante diminution. Alors que chaque arrêt à la pompe à essence exigeait autrefois un décrassage en bonne et due forme de la vitre avant du véhicule, devenue un véritable charnier, les trajets d’aujourd’hui s’achèvent avec des pare-brise immaculés ou presque.

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Simple impression, conséquence d’une nostalgie des trajets estivaux au volant d’une 2 CV, ou symptôme d’un mal profond, à savoir l’effondrement des populations d’insectes volants? Une étude parue hier dans la revue PLoS One vient de trancher en faveur de la seconde hypothèse. Elle conclut à la disparition, dans 63 zones naturelles protégées en Allemagne, de plus de 75% du nombre d’insectes volants en vingt-cinq ans.

Les chiffres donnent le vertige. Reste à savoir qui est le coupable. «Mais où sont passés tous les insectes?» s’interrogeait ainsi en mai dernier l’hebdomadaire Science. Enquêtant sur cette affaire, la revue désignait les principaux suspects selon elle: les néonicotinoïdes. Ces insecticides controversés, massivement employés depuis le début des années 1990, sont généralement pulvérisés sur les semences et appliqués de manière préventive et systématique.

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Le poison est partout

Malgré un moratoire suisse et européen portant sur trois molécules de cette famille, on conçoit facilement que les néonicotinoïdes peuvent bel et bien être à l’origine de cette mystérieuse hécatombe. Certains d’entre eux persistent longtemps dans les sols, et se retrouvent par la suite dans d’autres plantes, même non traitées, même sauvages. Le poison est partout et la Terre est devenue un enfer pour les insectes.

On connait déjà très bien les arguments que vont nous pulvériser à la figure les défenseurs de ces produits, géants de l’agrochimie en tête. Il n'y aurait pas d’alternative, et une population galopante qu’il faut continuer à nourrir. Soit. Reste que les insectes rendent aussi de nombreux services aux agriculteurs. Une grande partie de ce qui se retrouve dans nos assiettes est le résultat d’interactions complexes entre la nature et les êtres vivants. Qui croirait que pour apprécier ce délicieux pavé de saumon, il faille rendre grâce à l’humble mouche de mai, insecte dont se nourrissent ces poissons durant leur jeunesse? Une étude menée en 2006 a même évalué à 57 milliards de dollars la contribution des insectes à l’économie américaine, hors pollinisation.

Clé de voûte de nombreux écosystèmes, les insectes rendent à l’humanité des services inestimables. Alors que le sort d’un autre produit phytosanitaire, le désherbant Roundup, se joue ces prochains jours en Europe, il serait avisé de méditer sur ces résultats. Parce qu'il est préférable de percuter quelques insectes plutôt qu’un mur.