Les jeux vidéo d’action facilitent l’apprentissage
Sciences cognitives
La pratique des jeux d’action favorise l’apprentissage, révèle une étude genevoise. Le savoir-faire des joueurs serait transférable à d’autres tâches

Call of Duty, Battlefield, GTA… lorsque les jeux vidéo d’action font parler d’eux dans les médias, c’est souvent plus pour leur contenu polémique et leurs éventuels effets néfastes sur le comportement que pour leurs vertus. Pourtant, au fur et à mesure que les résultats s’accumulent, il devient irréfutable que leur pratique peut également s’avérer bénéfique pour le cerveau.
Professeure de sciences cognitives à l’université de Genève, Daphné Bavelier étudie les effets des jeux vidéo sur le cerveau depuis une dizaine d’années. Un domaine qu’elle a découvert par hasard, au détour d’une étude de neurosciences dans laquelle l’un des volontaires accomplissait des tests avec une facilité déconcertante. Or ce dernier était par ailleurs expert en jeux vidéo… ce qui a mis la chercheuse sur cette nouvelle piste. Depuis, avec d’autres équipes, elle a mis en évidence de nombreuses relations entre ces jeux et certaines fonctions cognitives.
La plupart de ces études ont pour l’instant simplement réalisé l’inventaire des effets de ces jeux sans vraiment en expliquer les mécanismes. «Les jeux vidéo, en particulier ceux d’action, ont des effets sur des fonctions qui n’ont a priori rien à voir entre elles, par exemple l’acuité visuelle et la prise de décision, raconte Daphné Bavelier. Trouver un mécanisme commun à autant d’effets n’est donc pas facile.» C’est pourtant ce qu’elle et son équipe viennent de faire dans une étude publiée récemment dans la revue PNAS . D’après leurs conclusions, les jeux vidéo d’action faciliteraient en fait l’apprentissage de compétences nouvelles. «Nous avons découvert que si les joueurs ont par exemple une meilleure acuité visuelle, ce n’est pas parce que les jeux vidéo leur ont donné une meilleure vision, mais plutôt parce qu’ils leur ont appris à mieux voir», nuance Daphné Bavelier.
En quoi consistent-ils, ces jeux? L’exemple typique est le FPS, acronyme anglais pour jeu de tir à la première personne. Dans un FPS comme le célèbre Call of Duty, le joueur est dans les baskets d’un personnage et voit à travers ses yeux. L’action se déroule dans des univers dangereux, en partie imprévisibles (surtout lors de sessions de jeu en ligne), et nécessite d’anticiper en permanence ce qui se passe en dehors du champ de vision afin de réagir rapidement et de pouvoir sauver sa peau.
Les chercheurs ont d’abord voulu déterminer si ces jeux vidéo ont bien un effet sur l’apprentissage. Ils ont pour cela recruté 20 volontaires, parmi lesquels des experts des FPS et des joueurs occasionnels d’autres types de jeux vidéo. Ces derniers ont dû réaliser une série d’exercices de discrimination visuelle, un outil standard des sciences cognitives. La répétition des exercices permet d’évaluer si les sujets s’améliorent au fil des essais, ce qui témoigne de leurs capacités d’apprentissage. Résultat, les pros des jeux d’action obtiennent de bien meilleurs scores que les autres.
Mais si les joueurs de FPS sont meilleurs, est-ce à cause de leur passion, ou bien est-ce qu’ils avaient ces prédispositions avant de jouer? Pour le savoir, les scientifiques ont imaginé une deuxième expérience à laquelle a participé une trentaine de volontaires peu familiers des jeux vidéo. Ces cobayes ont dû s’entraîner soit à des jeux d’action (Call of Duty 2 et Unreal Tournament 2004), soit à des jeux de simulation (Les Sims 2 et Restaurant Empire) pendant cinquante heures, sur une durée de neuf semaines. Leurs capacités d’apprentissage ont été mesurées avec le même test, avant et après cette période entraînement, afin de déterminer si les jeux vidéo ont joué un rôle quelconque. Le verdict? Ceux qui ont joué à des FPS ont nettement progressé, tandis qu’aucune progression n’a pu être observée chez les autres.
Poursuivant leurs expériences, les chercheurs se sont intéressés au transfert de ces compétences. Sont-elles immédiatement mobilisables dans d’autres situations, ou bien se limitent-elles à une tâche unique, comme on l’observe habituellement en sciences cognitives? De précédentes études suggèrent que les jeux vidéo font figure d’exception et que les compétences qu’ils aident à développer sont immédiatement transférables dans d’autres situations. L’une d’entre elles, publiée en 2011, avait ainsi démontré que les chirurgiens adeptes des jeux vidéo disposent d’une meilleure coordination visuo-motrice que les non-pratiquants. Le même genre de résultats a également été rapporté chez les pilotes.
Mais les résultats de Daphné Bavelier viennent en nuancer l’interprétation. «Il n’y a pas de transfert, car lorsque nous avons comparé leurs courbes de progression en fonction du temps, nous avons constaté que les joueurs de FPS ne sont pas tout de suite meilleurs que les autres, explique Alexandre Pouget, de l’Université de Genève, qui a participé à cette étude. Ils ont le même niveau initial, mais ils apprennent plus efficacement et plus vite au fil du temps.»
Pour le professeur de psychologie Olivier Houdé, de l’Université Paris Descartes, ces résultats démontrent que «les experts dans les jeux vidéo d’action ont en quelque sorte appris à apprendre. Ils ont développé une capacité d’adaptation plus rapide, chose qu’ils ont appliquée dans d’autres tâches.»
Des jeux vidéo qui apprennent à apprendre… Les applications éducatives ou thérapeutiques ne semblent plus très loin. Mais d’abord, il faudrait identifier quels aspects des FPS sont importants afin de les tester indépendamment. «Nous en sommes encore loin, admet Daphné Bavelier, qui ne peut qu’avancer des hypothèses. La notion de rapidité, le changement permanent de focalisation de l’attention semblent toutefois avoir un effet.» A terme, on pourrait donc imaginer des jeux vidéo spécialement conçus pour des enfants souffrant de troubles de l’apprentissage, ou pour des patients amblyopes, dont l’acuité visuelle est réduite.
L’action nécessite d’anticiper en permanence ce quise passe en dehorsdu champ de vision