Pour enrayer le réchauffement, il faut réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Ce qui implique d’utiliser moins d’énergies fossiles telles que le charbon, le gaz et le pétrole, principaux émetteurs de CO2. Cessons donc d’investir dans ces énergies! Voilà la logique défendue par les partisans du désinvestissement, qui entendent convaincre fonds de pension, compagnies d’assurances et œuvres philanthropiques de ne plus placer leurs actifs dans les combustibles fossiles.

Ce mouvement international, qui prend de l’ampleur à l’approche de la conférence de Paris sur le climat, fait l’objet d’une série de conférences organisées ces jours-ci à Lausanne et Genève par le trimestriel écologiste romand La Revue durable. «La campagne de désinvestissement a l’avantage de s’attaquer directement à la source du problème, à savoir l’extraction des combustibles fossiles, alors que les négociations politiques sur le climat tentent d’y répondre de manière indirecte en limitant les émissions de gaz à effet de serre», explique Jacques Mirenowicz, rédacteur en chef de La Revue durable, qui relaie la campagne en Suisse.

L’idée a vu le jour en 2008 sur un campus de Philadelphie, quand des étudiants ont demandé à leur université de ne plus placer de fonds dans l’énergie fossile, s’inspirant d’actions similaires entreprises dans les années 1980 pour lutter contre l’apartheid. La campagne, portée depuis 2012 par l’ONG américaine 350.org (dont le nom fait référence à la concentration en CO2 à ne pas dépasser dans l’atmosphère, soit 350 ppm ou parties par millions), a ensuite pris de l’ampleur, surtout après que le Fonds norvégien, plus gros fonds souverain au monde, a annoncé au mois de mai dernier qu’il allait exclure de son portefeuille les entreprises actives dans le charbon.

Actuellement, plus de 460 institutions petites et grandes – universités, communes, organisations philanthropiques, communautés religieuses, fonds de pension, etc. – ont renoncé à investir dans le charbon ou plus largement dans les énergies fossiles. Parmi elles figure le groupe britannique The Guardian, qui édite le quotidien du même nom et qui anime la campagne «Keep it to the ground» («gardons-le dans le sol»). En tout, la somme des actifs détournés des énergies fossiles atteindrait 2600 milliards de dollars, d’après une estimation du cabinet de conseil en philanthropie Arabella Advisors. Mais en Suisse, aucune institution n’a pour l’heure sauté le pas. «Certaines d’entre elles jouent pourtant un rôle majeur dans le soutien à l’industrie des combustibles fossiles. Crédit Suisse et UBS se classent douzième et treizième au niveau mondial pour le montant de leurs prêts à ces entreprises», souligne Jacques Mirenowicz.

Comment expliquer la frilosité des acteurs suisses? «La crainte d’une perte de rentabilité n’est pas justifiée: les études indiquent que les investisseurs qui renoncent aux énergies fossiles ont des performances à peu près similaires, voire légèrement meilleures, à celle des investisseurs conventionnels», relève Amandine Favier, conseillère en finance durable au WWF Suisse, qui intervenait lors d’une conférence organisée par La Revue durable le 3 novembre au Muséum d’histoire naturelle de Genève. «La recherche d’investissements alternatifs entraîne toutefois des coûts d’analyse supplémentaires, indique Roby Tschopp, directeur de l’association d’actionnaires Actares, qui promeut le développement durable dans les entreprises. D’autre part, si la performance des investissements n’est pas réduite, elle est souvent décorrélée par rapport à la tendance globale, ce qui peut être difficile à justifier.»

Une nouvelle étude, publiée il y a quelques jours par l’Office fédéral de l’environnement, pourrait cependant apporter de l’eau au moulin du désinvestissement. Basée sur l’examen des principaux fonds en actions suisses et sur celle des portefeuilles d’actions d’un groupe de caisses de pension, elle met en lumière le risque d’une «bulle de carbone» en Suisse. Car les investisseurs helvètes ne prennent pour l’heure guère en compte les émissions de CO2: «Leur comportement favorise un réchauffement global de 4 à 6°C», souligne le rapport. Pourtant, si des mesures étaient prises pour limiter le réchauffement à 2 °C, comme cela est prévu dans le cadre de la conférence de Paris, leurs investissements perdraient de la valeur, avec un impact estimé sur les caisses de pension pouvant aller jusqu’à un cinquième des rentes vieillesse actuellement versées.

Si avec de telles données, le mouvement de désinvestissement semble appeler à gagner en influence, il possède toutefois ses propres limites. D’abord, parce que les actifs vendus trouvent actuellement toujours preneurs auprès d’investisseurs peu soucieux du climat. Par ailleurs, reporter ses investissements sur des projets d’énergie renouvelable afin de favoriser la transition énergétique est ardu: les projets de ce type sont souvent de petite taille et se prêtent mal aux placements de caisses de pension. Enfin, les montants désinvestis ne suffisent pour l’heure de loin pas pour déstabiliser les grands acteurs des énergies fossiles. «Ce n’est de toute façon pas l’objectif, indique Jacques Mirenowicz, nous cherchons plutôt à mettre fin à leur influence politique nuisible.»

Prochaine conférence: «Désinvestir, investir: la dimension pratique», jeudi 5 novembre à 18h à l’Université de Lausanne. Informations sur www.larevuedurable.com