Depuis le jeudi 15 décembre, à Montignac, en Dordogne, l’essentiel des peintures et des gravures réalisées il y a un peu moins de 20 000 ans dans la grotte de Lascaux deviendront accessibles aux regards de tous. Une copie quasi complète de cette grotte, à l’échelle 1, ouvrira en effet ses portes, avec un potentiel d’accueil de plusieurs centaines de milliers de visiteurs par an.

Toutefois, les données scientifiques sur lesquelles s’est appuyée cette reconstitution sont issues pour partie de travaux anciens et incomplets: la grotte, célèbre dans le monde entier, n’a paradoxalement été que peu étudiée scientifiquement. Et ce n’est pas près de changer.

500 mètres carrés de paroi peinte et gravée

La réplique de la grotte de Lascaux du tout nouveau Centre international de l’art pariétal de Montignac est constituée de 500 mètres carrés de paroi peinte et gravée. Les visiteurs, à la cadence optimisée de 32 toutes les 10 minutes, emprunteront un cheminement aménagé qui, à la différence de l’original, évitera les croisements et laissera passer poussettes et fauteuils roulants. Mais seule une galerie basse et étroite, inadaptée à la visite en groupe, manquera à la reconstitution.

La forme des parois a été reproduite à partir d’un relevé de la grotte en trois dimensions réalisé par laser, avec une précision de trois points par millimètre carré. Des peintres ont recopié les peintures en se fondant sur les très nombreuses photographies, prises notamment dans les années 1990 par Norbert Aujoulat, alors au Centre national de préhistoire. Pour les gravures, par contre, les seuls documents disponibles étaient les relevés réalisés par l’abbé André Glory entre 1953 et 1962.

Des figures animales non répertoriées

«Les peintures ont été très bien étudiées par Norbert Aujoulat, mais faire un fac-similé de cette grotte alors que la majorité des gravures n’ont pas été relevées depuis plus de cinquante ans, je trouve ça dommage, s’agace Carole Fritz, spécialiste d’art préhistorique au CNRS. Quelles données scientifiques va-t-on transmettre au public?» D’autant qu’André Glory, décédé subitement en 1966, n’avait rien publié scientifiquement sur Lascaux (ses archives ne l’ont été qu’en 2008).

Les graveurs du fac-similé, qui ont étudié ces relevés avant de les reproduire, avancent officieusement qu’ils y auraient repéré plus d’une centaine de figures animales non répertoriées. «J’en ai vu quelques exemples crédibles, confirme Jacques Jaubert, de l’université de Bordeaux. Mais il faudrait que des spécialistes examinent cela de plus près, puis aillent vérifier sur l’original.» Une fissure de la roche est si facilement confondue avec un trait de gravure!

Aller dans la grotte? C’est bien le problème pour les préhistoriens: ils en sont totalement exclus depuis une quinzaine d’années. Ils n’y ont d’ailleurs jamais vraiment été les bienvenus. «Les travaux réalisés en 1947 pour accueillir le public ont été faits sans fouilles préalables, déplore Geneviève Pinçon, directrice du Centre national de préhistoire. Et lors de la pose d’un système de climatisation, en 1958 et 1959, l’abbé Glory n’a pu que suivre les terrassiers, relevant des coupes stratigraphiques et récupérant des vestiges archéologiques.» Il a ensuite travaillé la nuit, pour ne pas gêner les visites touristiques.

Nous ne savons pas pendant combien de temps le site a été fréquenté par l’homme, ni à quel rythme.

Grotte fermée au public en 1963

Ces visites ont fini par dégrader la grotte, au point qu’elle a été fermée au public en 1963. Elle est quand même restée accessible environ 800 heures par an, ce qui a permis quelques travaux archéologiques d’ampleur limitée. Mais depuis 2001, après une invasion de champignons et de bactéries qui ont notamment produit des taches noires sur les parois, ce quota a été réduit à 200 heures.

«Le peu de temps de présence humaine que nous pouvons autoriser nous conduit à privilégier les programmes de recherche dédiés à la conservation, explique Muriel Mauriac, conservatrice de la grotte. Ces études, consacrées par exemple à la géologie de la grotte ou à la modélisation des sols préhistoriques, qui ont disparu, pourraient servir aux études archéologiques. Mais je ne peux pas dire quand celles-ci pourront redémarrer.» En attendant, elle préconise aux préhistoriens de poursuivre l’étude des gravures à l’aide d’un modèle tridimensionnel issu du relevé laser, et des relevés d’André Glory. Piste qu’aucun préhistorien ne souhaite toutefois suivre sans la garantie d’un accès dans la grotte à brève échéance.

Oser prélever des fragments

L’étude des gravures n’est en outre pas la seule question scientifique pendante à propos de Lascaux. «Nous ne savons pas pendant combien de temps le site a été fréquenté par l’homme, ni à quel rythme, explique Geneviève Pinçon. En combien d’étapes s’est construit cet ensemble pariétal que nous voyons aujourd’hui simultanément?» «La datation des peintures, d’environ 20 000 ans, n’est pas encore suffisamment étayée, renchérit Jacques Jaubert. Nous disposons pourtant d’outils d’analyse précis, expérimentés dans d’autres grottes, qui pourraient le permettre. Mais il faudrait oser prélever de micro-fragments de pigments!»

Autant d’études que la conservatrice n’est pas prête à autoriser. «Notre rythme n’est pas forcément compatible avec celui de la grotte, explique-t-elle. Je ne suis là que de manière éphémère, comme un passeur qui veut transmettre cette grotte le mieux possible à ceux qui viendront après moi. La recherche archéologique, c’est un rêve que nous partageons tous, mais du rêve à la réalité, le chemin est parfois long.»

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