L’astrophysicienne Svetlana Berdyugina a les yeux dirigés vers le Soleil, à Locarno
Portrait
Nouvelle directrice de l’Istituto ricerche solari «Aldo e Cele Daccò» (Irsol) de Locarno, l’astrophysicienne étudie la lumière solaire, tout en guettant la vie extraterrestre

Astrophysicienne de son état, Svetlana Berdyugina fait visiter le seul observatoire solaire professionnel en Suisse. Nous sommes sur les hauteurs de Locarno, à l’Istituto ricerche solari «Aldo e Cele Daccò» (Irsol) dont elle est directrice depuis le mois de mai. L’endroit, elle le connaît depuis vingt ans; lorsqu’elle était professeure junior à l’ETH Zurich, les deux institutions collaboraient étroitement. «A l’époque, l’Irsol comptait deux scientifiques, aujourd’hui ils sont entre 10 et 15, selon les bourses octroyées.»
Parallèlement, elle continuera à diriger l’Institut Leibniz de physique solaire à Fribourg-en-Brisgau. «Un sacré défi!» En plus, l’Université de la Suisse italienne (USI) l’a nommée professeure associée à la Faculté d’informatique, à laquelle l’Irsol est affilié. «Mon rêve était de disposer d’une armée d’étudiant·e·s pour traiter des tonnes de données. A l’USI, les outils d’intelligence artificielle (IA) sont très développés; je vais les exploiter au maximum!» La fusion des deux secteurs de connaissances – l’IA et l’astrophysique – «portera potentiellement à de nouvelles découvertes», prévoit-elle.
La lumière «vient de loin»
Svetlana Berdyugina a grandi entourée de piles de revues scientifiques. Née en URSS, au sein d’une fratrie de deux, elle avait des parents ingénieurs; son père civil et sa mère économique. «Ma famille était aussi abonnée à une encyclopédie généraliste de 33 volumes, chacun épais de sept centimètres, reçus en dix ans. C’était merveilleux de découvrir tout ce qui existait sous «A», puis «B», etc.», se souvient-elle.
Au début de l’adolescence, elle s’intéresse beaucoup aux sciences du cerveau. «Mais elles étaient liées à la médecine et ç’aurait été difficile pour moi de voir des gens souffrir. La physique était moins douloureuse.» Elle est captivée par la physique nucléaire, la physique des particules, avant de devenir accro à l’astrophysique. Puis elle se passionne pour la lumière, objet de ses recherches à ce jour. «Elle vient de loin, il faut seulement la déchiffrer; elle comprend beaucoup d’informations encodées.»
La jeune Svetlana étudie les mathématiques, la mécanique, la physique, l’astronomie et l’informatique à l’Université de Saint-Pétersbourg. L’astronomie est une discipline «très compétitive, car les postes d’astronomes sont rares». On lui dit que plusieurs deviennent professeurs de mathématiques ou programmeurs. Mais elle veut être astronome. Elle le devient, et sa fille naît dans un observatoire où elle vit avec son mari, également astronome. «Les télescopes étaient son terrain de jeu.» Elle devient la première – et pendant longtemps, la seule – professeure de physique à l’Université de Fribourg (fondée en 1457), et la première astrophysicienne à qui une chaire professorale ordinaire est offerte en Allemagne.
Elle travaille en effet beaucoup avec des hommes. Mais Svetlana Berdyugina n’accepte pas l’idée parfois véhiculée en Occident selon laquelle les femmes sont moins portées aux mathématiques que les hommes. «En Union soviétique, 90% des étudiant·e·s en maths étaient des femmes; à l’école, en maths, je n’avais que des professeures et à l’Université, nous avions beaucoup de femmes profs.»
This morning Professor Svetlana Berdyugina and Lucia Kleint, PhD observing a big sunspot remotely from Freiburg! Mo… https://t.co/s1IqWGKSD8
— Leibniz_KIS (@Leibniz Institute for Solar Physics (KIS))23 janvier 2020
La scientifique étudie les taches sombres magnétiques sur le Soleil, déjà observées il y a des milliers d’années par les Chinois, les Anglais, les Russes, souligne-t-elle, mais pour la science, c’est Galilée qui les a découvertes. «Il s’est attiré les foudres des autorités pour qui le Soleil était immaculé, sans taches…» sourit-elle, ajoutant que les nouveautés prennent du temps à être intégrées, acceptées. Ses recherches en physique solaire, astrophysique et astrobiologie qui utilisent une propriété rarement exploitée de la lumière, la polarisation, le lui ont confirmé.
Avec Colossus
Une de ses découvertes qui la rend heureuse? Elle a suggéré comment détecter le magnétisme solaire et stellaire en utilisant des molécules. «On savait que c’était faisable, mais l’expérience n’avait jamais été faite en astrophysique.» Elle a développé la théorie et montré que c’était possible, ouvrant plusieurs lignes de recherche innovantes, qui ont conduit à la découverte de nouveaux phénomènes. L’astrophysicienne est aussi cofondatrice du télescope Colossus, envisagé comme une technologie «next generation», le plus grand au monde, d’un diamètre de 75 mètres – de la taille d’un terrain de football – capable de détecter la vie extraterrestre.
Egalement chercheuse en exoplanètes (les planètes orbitant autour d’une étoile autre que le Soleil), Svetlana Berdyugina a l’espoir que, de son vivant, de la vie extraterrestre soit découverte. «Elle existe certainement, ou a déjà existé quelque part. Seulement, l’Univers est tellement vaste, il faudra de la chance pour tomber dessus.» En effet, la Voie lactée compte environ 200 milliards d’étoiles et il existerait quelque 200 milliards de galaxies… Beaucoup de découvertes ont été faites en partie grâce à la bonne fortune, rappelle-t-elle. «Il faut être bien préparé et espérer être au bon endroit au bon moment.»
Profil
2005 Professeure à l’EPFZ, jusqu’en 2009.
2006 Elle est la première astrophysicienne à se voir offrir un poste de professeure titulaire en Allemagne.
2008 Elle devient la première professeure de physique à l’Université de Fribourg-en-Brisgau.
2011 Senior fellow à l’Institut d’astrobiologie de la NASA à l’Université d’Hawaï, jusqu’en 2014.
2017 Directrice scientifique exécutive de l’Institut Leibniz de physique solaire.
2022 Nommée directrice de l’Istituto ricerche solari «Aldo e Cele Daccò» (Irsol), à Locarno.
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