Biodiversité
Plusieurs semenciers suisses préservent et sélectionnent des variétés potagères riches en histoire. Tout en impliquant le public dans leur conservation

Haricots nains «Marché de Vully», cardon argenté épineux «de Plainpalais», laitue romaine «de Morges», betterave noire «de Lausanne»… Les variétés de légumes locales, longtemps oubliées des étals des marchés, retrouvent progressivement le chemin des potagers. Installé sur la terrasse de la rédaction, le petit jardin urbain du Temps fait la part belle à ces plantes d’un autre âge, en accueillant par exemple du «Golden Bentam», l’une des dernières sortes de maïs sucré non hybride.
Développées par les maraîchers suisses depuis des centaines d’années, les espèces anciennes jouent un rôle important dans le maintien de la biodiversité, en constituant un réservoir dans lequel les sélectionneurs peuvent puiser pour créer de nouvelles variétés, plus résistantes à un parasite, ou présentant des caractéristiques particulières. Elles ont pu perdurer dans le temps grâce au travail de conservation de la banque de gènes nationale de l'Agroscope, mais aussi d’entreprises privées, d’associations diverses, ou encore de la Fondation ProSpecieRara, qui maintient en vie quelque 1000 variétés de plantes de jardin et de plein champ.
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Parmi les acteurs sans qui ces variétés auraient été perdues se trouve l’Association Semences de Pays qui, depuis 2009, conserve et multiplie des semences issues de sélections paysannes locales. «Nous cultivons une trentaine d’espèces et une soixantaine de variétés différentes, explique Joël Mutzenberg, jardinier sélectionneur. Le cœur de notre projet était de remettre en culture toutes les variétés que l’on trouvait encore dans la région genevoise.»
Le maintien des espèces anciennes est néanmoins un processus complexe: «Pour obtenir une sélection de qualité, nous avons par exemple dû planter 400 cardons épineux, afin d’obtenir, au final, une dizaine de porte-graines.»
Ancien ne rime pas toujours avec bien
Depuis plus de trente ans, la famille Zollinger, semenciers biologiques de mère et père en fils, s’est également spécialisée dans la préservation de variétés riches en histoire. «L’entreprise a été fondée sur cette idée, retrace Tulipan Zollinger, l’un des fils du couple fondateur. Au début des années 1980, alors qu’elle venait tout juste de terminer ses études d’ingénieure-agronome, ma mère s’est rendue durant deux ans au Népal afin de revaloriser, dans le cadre d’un programme des Nations unies, les graines locales auprès des paysans indigènes. En utilisant des semences fournies par de grandes entreprises occidentales, ils avaient peu à peu perdu leurs variétés traditionnelles. Lorsqu’elle est rentrée en Suisse, elle s’est aperçue que le problème était identique ici.»
Préserver les plantes anciennes ne sous-entend toutefois pas faire l’impasse sur des critères de qualité. «Ce n’est pas parce que c’est vieux que c’est forcément bien, ajoute Tulipan Zollinger. Notre objectif est certes de faire perdurer ces espèces, mais aussi de sélectionner celles qui pourront par exemple supporter d’être cultivées dans des jardins en ville, ou survivre aux changements climatiques.» Son entreprise a d’ailleurs fourni les semences qui poussent depuis quelques jours sur la terrasse du Temps, en plein centre de Lausanne.
Dans ce sens, Zollinger teste tous les ans, dans le cadre d’une collaboration avec l’Office fédéral de l’agriculture, un maximum de variétés d’une même espèce, afin d’introduire les meilleures, et les plus menacées, dans la banque de gènes nationale.