Archéologie
L’étude de poteries anciennes révèle que les produits de la ruche sont utilisés par l’être humain depuis la préhistoire

Alors que les colonies d’abeilles s’effondrent un peu partout dans le monde, sous l’effet notamment du recours massif aux pesticides dans l’agriculture, une nouvelle étude parue le 12 novembre dans la revue Nature montre à quel point notre relation avec ce pollinisateur est ancienne. L’analyse de résidus de cire incrustés dans des poteries révèle un usage des produits de la ruche largement répandu à travers l’Europe depuis au moins 9000 ans.
Ce n’est que depuis les années 1990 que les outils d’analyse chimique sont suffisamment perfectionnés pour déterminer la nature des substances retrouvées dans des récipients archéologiques. Une dizaine d’équipes de recherche à travers le monde se sont spécialisées dans ce type d’études qui combinent chimie et archéologie. Elles se font fort d’identifier les traces caractéristiques de graisses animales, résidus de vin, résines et goudrons qui subsistent sur les parois d’amphores et autres céramiques.
Signature chimique
«Parmi les produits de la ruche, celui qu’on retrouve le plus couramment dans des récipients anciens est la cire, qui possède une signature chimique reconnaissable et stable au cours du temps, explique Martine Regert, chimiste et archéologue à l’Université de Nice Sophia Antipolis, une des auteurs de l’étude. Les sucres du miel ont en revanche tendance à se dégrader rapidement et sont consommés par des bactéries. Quant à la propolis, cette substance antiseptique fabriquée par les ouvrières à partir de bourgeons, on ne sait pas encore l’identifier dans nos échantillons archéologiques.»
Pour l’étude publiée dans Nature, l’équipe de Martine Regert a mis en commun ses données avec celle d’un autre groupe de recherche basé à Bristol. Soit des analyses portant sur 6 400 restes de poteries retrouvés dans divers sites d’Europe et d’Afrique du Nord. «Notre publication est l’aboutissement de plus de 20 années de recherche cumulées», souligne la chercheuse.
Période charnière
Que ressort-il de ce travail? D’abord, que l’abeille européenne Apis mellifera est à notre service depuis bien longtemps. Les plus anciens restes de cire d’abeille retrouvés par les chercheurs sont issus d’Anatolie et remontent à 7 000 avant J.-C. C’est-à-dire en plein pendant le Néolithique, cette période charnière qui a commencé il y a environ 10 000 ans au Proche-Orient avant de conquérir progressivement le reste du monde, et qui a vu les êtres humains se sédentariser pour se lancer dans l’agriculture.
Des restes de cire plus récents (- 5000 à -3000 ans avant J.-C. environ) ont aussi été identifiés par les scientifiques sur des poteries issues des Balkans, de Grèce, d’Europe centrale, d’Angleterre et d’Algérie, suggérant un emploi largement répandu de ces substances par les populations de la préhistoire. En revanche, aucun résidu archéologique de cire n’a été retrouvé au-delà du Danemark. «Cette zone marque sans doute la limite Nord de l’aire de répartition de l’abeille durant le Néolithique», indique Martine Regert. Alors qu’il n’existe presque aucun fossile d’abeille, ces données apportent des connaissances inédites sur les populations de ces insectes dans le passé.
L’étude de Nature éclaire aussi la manière dont l’être humain a domestiqué l’abeille. «Il a probablement commencé par récolter le miel dans les ruches sauvages, avant de devenir apiculteur à proprement parler», explique Martine Regert. Des peintures rupestres retrouvées en Espagne et datant du Néolithique montrent en effet des personnages en train de prélever du miel sur des parois rocheuses. Quant aux premières représentations d’abeilles domestiquées, elles datent du Haut Empire égyptien, 2400 ans avant notre ère. Il est cependant difficile de déterminer avec précision quand les êtres humains se sont mis à fabriquer des ruches. «Au début, il devait s’agir de troncs évidés dans lesquels étaient déposés des essaims, mais ce type de ruches-troncs n’a pas été conservé dans le temps», relève l’archéologue.
Applications variées
L’usage que faisaient les populations préhistoriques des produits de la ruche demeure également méconnu. La cire d’abeille peut en effet avoir de nombreuses applications. Retrouvée seule dans un récipient, on peut imaginer qu’elle a servi à l’imperméabiliser. En mélange avec des matières grasses d’origine animale, elle peut témoigner de l’utilisation du miel (mal séparé de son substrat de cire) pour adoucir des plats. En présence de résine de pin, elle a pu faire office de plastifiant dans une matière adhésive. «On soupçonne que tous les produits de la ruche étaient employés, à différentes fins. Il n’existe pas dans le monde de peuples qui utilisent la cire et pas le miel, par exemple», précise Martine Regert.
Au vu de l’abondance des restes retrouvés, la chercheuse et ses collègues imaginent que l’exploitation de ruches devait être bien implantée dans les sociétés néolithiques. Il est même possible qu’elle ait été pratiquée par des individus spécialisés, puisqu’il s’agit d’une pratique qui demande des compétences particulières. «Nos ancêtres devaient posséder de bonnes connaissances de l’écologie des abeilles. Elles sont en effet nécessaires pour exploiter de manière raisonnée leurs produits, qui ont de tout temps été des substances précieuses.»