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L’homme préhistorique de Florès était une espèce à part entière

De nouveaux fossiles d’homininés ont été trouvés sur l’île de Florès en Indonésie. Homo floresiensis, surnommé «le Hobbit», aurait vécu plusieurs centaines de milliers d’années dans la région

Les fossiles d'Homo floresiensis récemment découverts.
Les fossiles d'Homo floresiensis récemment découverts.

Un fragment de mâchoire, six dents — dont deux de lait — appartenant à au moins trois individus. Sept fossiles pour une seule certitude: ils proviennent d’une espèce d’homininé de très petite taille qui vivait sur l’île de Flores il y a sept cent mille ans, annonce la revue «Nature» du 8 juin.

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Cela ne vous rappelle rien? Le 29 octobre 2004, une équipe australienne et indonésienne avait fait les gros titres en annonçant la découverte l’année précédente de restes d’un homininé vieux de 70 000 ans (selon des datations récentes), dans la grotte de Liang Bua, sur la même île. Un être si petit — un mètre environ —, qu’on l’a depuis baptisé le Hobbit, en clin d’œil aux petits hommes qui peuplent la Terre du milieu dans le Seigneur des anneaux. Cet Homo floresiensis serait, selon ses découvreurs, une espèce à part entière.

La nouvelle découverte annoncée dans «Nature» vient conforter cette hypothèse, avec des restes d’Homo floresiensis bien plus vieux que ceux connus jusqu’alors. «Le site de fouilles de Mata Menge se trouve dans l’ancien lit d’une rivière», raconte Adam Brumm, de l’Université Griffith, en Australie, co­auteur des deux articles. Il s’est notamment occupé de l’étude géologique du site et de la datation. «Nous avons daté les sols. De plus, comme une dent d’homininé était fragmentée, et donc peu utile pour les études morphologiques, nous l’avons percée pour en étudier les teneurs en uranium et en thorium. Elles confirment les datations de sédiments, à environ sept cent mille ans.»

Plus de sept mille fossiles animaux ont été retrouvés sur le site, notamment des crocodiles, des dragons de Komodo, des rongeurs, et des stégodons, ces cousins aujourd’hui disparus de l’éléphant, mais aussi des oies et des aigles. L’analyse isotopique de dents animales et celle de pollens, mais aussi la découverte de gastéropodes aquatiques, laissent penser que cette région était, il y a sept cent mille ans, une savane, bordée de zones humides et de petites forêts. L’analyse des dents de 120 stégodons suggère que ce groupe d’animaux a subi un événement mortel de masse, sans qu’on puisse en connaitre la cause.

Aucun ossement animal ne porte de traces suggérant que les homininés découpaient les carcasses. «Leurs outils étaient façonnés à partir des roches — souvent d’origine volcanique — transportées par la rivière», indique Adam Brumm. Ces pierres taillées, dont beaucoup sont intactes sans trace d’érosion, ont été façonnées de la même manière que d’autres retrouvées sur le site mais remontant à seulement cent mille ans, mais aussi comme les outils retrouvés à Liang Bua, à 70 kilomètres de là.

Nanisme évident

S’il n’est pas possible, faute d’avoir retrouvé un crâne ou d’autres parties importantes de squelette, de déterminer la taille des trois individus dont des restes ont été retrouvés à Mata Menge, leur nanisme est une évidence pour les chercheurs. «Plusieurs dents sont à la fois matures et très petites. Un signe certain qu’elles appartenaient à des homininés adultes de petite taille», justifie Adam Brumm. Une taille qui serait même un peu inférieure à celle de l’homininé de Liang Bua.

«On pouvait penser qu’il y aurait des débats sans fin à propos de l’homme de Florès. En dépit d’un très large consensus, certains chercheurs persistent à penser qu’il s’agirait d’un Homo sapiens, un homme moderne dont la taille s’expliquerait par une maladie congénitale», souligne Antoine Balzeau, paléoanthropologue au CNRS (Musée de l’homme, Paris). Il vient de co­signer une étude morphologique du crâne découvert en 2003 à Liang Bua qui montre que celui-­ci ne présente aucun signe de pathologie connue chez les humains.

© Reuters Photographer / Reuter
© Reuters Photographer / Reuter

«La jolie découverte qui vient annoncée clôt définitivement la discussion, du moins peut-­on l’espérer. Elle confirme qu’il y a eu au moins deux occupations de l’île de Florès par un homininé de petite taille et aux caractéristiques proches, l’une il y a 700 000 ans et l’autre il y a 70 000 ans. Cela renforce l’hypothèse qu’il s’agit bien d’une espèce, Homo floresiensis, qui est restée plusieurs centaines de milliers d’années dans cette région.»

«Je serais très surpris qu’il en soit autrement», confirme le japonais Yousuke Kaifu, du Musée national de la nature et de la science de Tokyo, co­auteur de la récente découverte, qui a comparé les fossiles de Mata Menge avec un large catalogue de restes d’homininés — et notamment Homo erectus, Homo habilis et des australopithèques —, avant de conclure à leur remarquable proximité avec Homo erectus, dont descendrait Homo floresiensis.

Naviguateur

«Nos travaux, et d’autres, confortent l’hypothèse qu’Homo erectus, une espèce de grande taille et dotée d’un grand cerveau, est arrivé il y a quelque 1 million d’années sur l’île de Florès — bien avant l’apparition de l’homme moderne —, avant de s’adapter, progressivement, à cet environnement, en évoluant vers un nanisme pour consommer moins de ressources», conclut Yousuke Kaifu.

«Cela remet donc en question l’idée que seul Homo sapiens était un navigateur, puisqu’il a bien fallu arriver sur cette île depuis le continent asiatique, insiste Antoine Balzeau. Mais il faudra encore de longues fouilles dans la région pour espérer comprendre l’histoire et le parcours de cet homininé». «Nous y travaillons, à Mata Menge, comme sur d’autres sites plus anciens, confirme Adam Brumm, depuis l’Indonésie. Nous avons trouvé des choses intéressantes, mais nous n’en parlerons pas avant de les avoir publiées.»