Faire repousser un cœur, des neurones ou encore une moelle épinière endommagée. Les thérapies cellulaires ont fait naître beaucoup d’espoirs. Du côté des cellules souches adultes – ces cellules présentes dans notre corps qui peuvent encore se spécialiser en plusieurs types de cellules différentes – un nombre restreint de traitements sont déjà communément utilisés. Quant aux cellules souches embryonnaires, qui peuvent devenir n’importe quelle cellule, plusieurs approches sont au seuil des premiers essais sur des êtres humains. Un seuil difficile à franchir. L’Institut suisse des thérapies cellulaires organise, mercredi, sa première conférence scientifique au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Objectif: réunir les spécialistes pour partager l’expertise et mettre en contact les acteurs du public et du privé, en espérant dégager les investissements nécessaires à cette étape cruciale. L’occasion de faire le point avec Marisa Jaconi, vice-directrice de l’institut et chercheuse au département de pathologie et immunologie de la Faculté de médecine de Genève.

Le Temps: Quelles thérapies cellulaires sont déjà communément utilisées aujourd’hui?

Marisa Jaconi: La transplantation de cellules souches hématopoïétiques – dérivées à partir de dons de sang ou de moelle – pour traiter les leucémies fonctionne bien depuis une trentaine d’années. Il y a aussi la transplantation de peau pour les grands brûlés. Comme il faut plusieurs semaines pour amplifier leur propre peau à partir de cellules souches contenues dans l’épiderme resté intact, on recouvrait jusqu’ici les plaies avec des lambeaux de peau de cadavre. Le CHUV a développé une banque de cellules fœtales progénitrices de peau, qui produisent des pansements plus efficaces.

– Y a-t-il d’autres thérapies cellulaires déjà pratiquées?

– Pour les patients diabétiques, il y a la transplantation de cellules pancréatiques, qu’on appelle îlots de Langerhans, isolée à partir d’un donneur vivant ou décédé. Ces îlots contiennent les cellules qui sécrètent l’insuline. Une fois transplantées dans le foie, celles-ci peuvent répondre aux variations de sucre dans le sang. A Genève, une cinquantaine de préparations sont réalisées chaque année et envoyées en Suisse et dans le reste de l’Europe.

– Quelles thérapies sont à l’essai?

– Une stratégie d’immunothérapie des tumeurs du Dr Nicolas Mach, des Hôpitaux universitaires de Genève, est proche des premiers tests chez l’homme. On prend des cellules de la tumeur d’un patient et on les encapsule avec des adjuvants. Après une chimiothérapie ou une ablation de la tumeur, on implante ces capsules chez le patient. Celles-ci activent le système immunitaire de manière optimale, pour détruire d’éventuelles cellules tumorales résiduelles qui pourraient produire des métastases.

– Avez-vous des exemples d’essais qui sont déjà en cours?

– Oui, à Bâle, ils arrivent à refaire du cartilage. Ils ont déjà traité quelques patients dont l’os du nez était détruit, par exemple. Par ailleurs, nous travaillons à Genève sur des cellules souches qui entourent nos vaisseaux. Trois premiers enfants ont été transplantés en Italie l’année passée, pour régénérer les muscles, dans le cas d’une maladie appelée dystrophie musculaire de Duchenne. En fonction des résultats, nous pourrions être un des acteurs dans des essais multicentriques à venir.

– Du côté des cellules souches embryonnaires (CSE), il était question de traiter la rétine...

– En effet, les chercheurs sont proches d’une application. Il est assez facile d’obtenir de l’épithélium rétinien pigmenté à partir de CSE. Ces cellules donnent l’espoir de retrouver la vue à des patients souffrant d’une dégénération de la rétine.

– A-t-on déjà testé des thérapies à base de CSE sur l’homme?

– La compagnie américaine Geron a dérivé des cellules souches nerveuses à partir de CSE, et les a transplantées à une vingtaine de patients qui souffraient de lésions de la moelle épinière. Ils ont abandonné, pour des raisons financières. Je pense qu’ils se sont lancés juste un peu trop tôt. Ils ont énormément investi dans une lignée cellulaire – la première, dérivée en 1998 – qui n’était peut-être pas optimale. Mais un autre essai est prêt à démarrer en Floride.

– Pour quelles autres pathologies mise-t-on sur les CSE?

– Pour des maladies dégénératives, comme celle de Parkinson. Des transplantations cellulaires à partir de neurones fœtaux ont été faites par le passé. Il y a eu des améliorations dans certains cas mais aussi des effets secondaires, comme des mouvements non contrôlés, dans d’autres. Pour les CSE, les essais sur des animaux sont probants. Il s’agit d’avoir les bonnes cellules et une préparation qui respecte tous les standards de sécurité. Cela demande beaucoup de contrôles, les chercheurs y travaillent.

– Et à part le Parkinson?

– Presque toutes les maladies où vous avez une destruction sélective de cellules et ou vous voulez régénérer le tissu ou faire en sorte qu’il ne dégénère pas davantage. Il y a beaucoup d’essais avec des cellules souches de la moelle pour les tissus du cœur. Elles ne se transforment pas en cellules cardiaques mais elles amènent un bénéfice transitoire en sécrétant des protéines et des hormones qui empêchent le cœur d’évoluer de manière trop négative, à la suite d’un infarctus, par exemple. Ce n’est pas encore la panacée. Pour recréer des cellules cardiaques, il faut des progéniteurs cardiaques qu’on obtient, notamment, à partir de CSE ou de cellules souches pluripotentes induites (iPS) – ces cellules adultes que l’on peut reprogrammer pour qu’elles puissent se spécialiser dans tous les types cellulaires. A Paris, un essai de pansement à base de CSE n’attend plus que le feu vert des agences nationale et européenne.

– Les iPS vont-elles remplacer les CSE?

– Elles ont l’avantage de ne pas être dérivées à partir d’embryons, mais il y a aussi des problèmes inhérents à ces cellules. Une étude a montré qu’elles sont plus susceptibles de provoquer des tumeurs.

– Quels sont, à vos yeux, les défis majeurs à venir?

– Il est beaucoup plus facile de cultiver des cellules en deux dimensions, mais, pour recréer un tissu, il faut penser en trois dimensions. Une partie de la recherche s’oriente actuellement vers des stratégies d’ingénierie tissulaire. Il s’agit également de comprendre comment le tissu est structuré. Si vous voulez régénérer un organe entier, vous devez probablement utiliser plusieurs types cellulaires, et ceux-ci doivent s’organiser. On sait que les cellules se parlent entre elles, mais peut-être faut-il les aider. A long terme, une fois que l’on aura compris tout cela, l’idéal serait d’arriver à faire en sorte que les cellules souches naturellement présentes dans un organe s’activent correctement, et que celui-ci s’a uto-répare efficacement.