En cette période de vacances scolaires, les zoos suisses ne manquent pas d’arguments pour attirer les familles. Depuis le début du mois de décembre, neuf manchots papous et 17 manchots royaux se sont établis à Bâle, après une année d’absence durant laquelle leur enclos a été rénové. Ils participent de nouveau à la «promenade des manchots», une des attractions hivernales les plus populaires du zoo, qui amène ces oiseaux originaires de l’Antarctique à déambuler sur le pont du vivarium.

Dans le nouvel espace australien du zoo de Zurich, varans et kangourous ont été rejoints au printemps dernier par les deux koalas Mikey et Milo – les premiers à élire domicile sur le sol helvétique. En Suisse romande, les trois ours bruns de Syrie nés au zoo de Servion fêteront bientôt leur première année. Le parc proche de Lausanne abrite aussi des panthères des neiges et des lions d’Afrique; il est possible d’assister à leur nourrissage selon des horaires prédéfinis.

Cette énumération d’attractions impliquant des animaux exotiques vous met mal à l’aise? Vous n’êtes pas le ou la seul.e. Alors que la sensibilité à la cause animale progresse globalement dans les sociétés occidentales, comme en témoigne le succès du mouvement végane, un nombre croissant de personnes sont gênées par le maintien en captivité d’animaux sauvages. Dans un ouvrage* récemment traduit en français, l’écologiste radical américain Derrick Jensen délivre un plaidoyer à charge contre les zoos, qui découlent selon lui d’une idéologie de domination de la nature par l’être humain, à l’origine de la crise environnementale actuelle.

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Un rôle éducatif

Ces institutions jouent pourtant un rôle incontournable dans la préservation de la biodiversité, font valoir leurs promoteurs. Elles ont par ailleurs beaucoup évolué, et se montrent de plus en plus attentives au bien-être de leurs pensionnaires. Mais peuvent-elles encore faire mieux? Et les zoos ont-ils encore vraiment un rôle à jouer au XXIe siècle, alors que les nouvelles technologies offrent de nouvelles manières d’appréhender la vie sauvage? Une chose est sûre: le zoo du futur ne pourra pas faire l’économie d’une réflexion éthique.

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Pour certains militants de la cause animale, les zoos sont une institution anachronique, qui n’a plus de raison d’être aujourd’hui. Mais pour les responsables de ces établissements, convaincus de leur mission, ils continuent de jouer un incontournable rôle éducatif. «Les zoos ont été créés par l’être humain afin qu’il puisse entrer en contact avec des animaux. Sans cette relation, nous perdrions tout intérêt à les protéger», estime Alex Rübel, le directeur du zoo de Zurich, l’un des plus importants de Suisse.

Connaître pour aimer

«Pour aimer quelque chose, il faut le connaître, abonde dans son sens Michel Gauthier-Clerc, directeur du centre de soin et parc animalier La Garenne à Le Vaud, spécialisé dans la faune européenne. Je vois le zoo comme un centre d’éducation à l’environnement, au sein duquel on s’amuse et on se sensibilise par la même occasion. A La Garenne, les lynx et les loups constituent en quelque sorte des produits d’appel pour des visiteurs d’âges et de milieux variés; une fois sur place, ils s’intéressent aussi aux espèces a priori moins spectaculaires, comme le mulot ou la salamandre.»

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Certains zoos s’efforcent de promouvoir des modes de vie plus durables. «Aux côtés des grands singes, nous avons une exposition qui présente les diverses menaces qui pèsent sur ces animaux, comme l’exploitation minière et la culture à grande échelle du palmier à huile. Nous mettons en évidence les liens entre nos propres comportements et la situation des animaux sauvages à l’autre bout du monde», indique Alex Rübel. Michel Gauthier-Clerc défend lui aussi une approche holistique de la protection de l’environnement au sein de son établissement. La cafétéria de La Garenne propose ainsi 90% de produits issus de l’agriculture biologique ou produits localement, bien que cela réduise ses marges.

Conservation des espèces

Les zoos sont par ailleurs nombreux à participer à des programmes de conservation d’espèces menacées. D’après l’Association mondiale des zoos et aquariums (WAZA), sise à Gland, qui regroupe 300 membres, il existe des registres généalogiques pour plus de 1000 espèces vivant en captivité à travers le monde. Des échanges d’animaux entre zoos permettent d’assurer leur reproduction tout en maintenant un certain brassage génétique. Des animaux en bonne santé peuvent ainsi dans certains cas être réintroduits dans leur milieu d’origine.

Un exemple local: «La Garenne participe depuis une cinquantaine d’années à un programme européen de réintroduction du gypaète barbu, rapace qui avait totalement disparu des Alpes au début du siècle dernier, explique Michel Gauthier-Clerc. Sur les 25 poussins nés dans notre parc, 12 ont pu être relâchés dans la nature.» Parmi les autres réintroductions emblématiques, rendues possibles par l’élevage dans des zoos, figurent les cas du cheval de Przewalski, dernier cheval sauvage d’Europe, et du bison d’Europe.

En quelques décennies, les enclos des animaux sont devenus plus vastes et plus proches de leur milieu naturel

Jonas Livet, fondateur du cabinet d’expertise zootechnique Fox Consulting

Enfin, toujours d’après la WAZA, les zoos investissent chaque année l’équivalent de 350 millions de francs dans des projets de protection de la faune non pas entre leurs murs, mais dans les régions d’origine de leurs pensionnaires. A titre d’exemple, le zoo de Zurich contribue à sept programmes de conservation à l’étranger, notamment à Madagascar pour la protection de la forêt pluviale, à Sumatra pour la réintroduction dans leur milieu d’orangs-outans ayant servi d’animaux de compagnie, ou encore au Kenya pour l’équipement et la rétribution des gardes-chasses du parc naturel de Lewa.

De meilleures conditions de vie

Ces arguments ne suffisent pas à convaincre les opposants aux zoos, à l’image de Vera Weber, de la Fondation Franz Weber. «Les réintroductions dans la nature d’animaux issus des zoos sont très rares, il est ridicule de mettre en avant ce type de programmes pour se justifier. Il est plus pertinent de protéger la faune directement dans son milieu d’origine, assure-t-elle. Quant au rôle supposé des zoos dans la sensibilisation du public, comment peut-on encore y croire aujourd’hui? Il suffit de considérer l’état de dégradation de notre planète pour constater qu’ils n’ont pas la moindre influence!»

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Les conditions de vie des animaux captifs suscitent également le débat. Certes, dans les pays développés, elles n’ont plus rien à voir avec celles des ménageries du XIXe siècle. Fini les cages exiguës, munies de barreaux et de sols en béton, exposant à tous les regards des animaux amaigris et bourrés de tics. Le dernier rapport sur les zoos de la Protection suisse des animaux, qui date de 2014, reconnaît que les animaux sont globalement bien soignés sur le territoire helvétique et ne pointe aucun établissement dont la visite serait à proscrire en raison de mauvais traitements.

«En quelques décennies, les enclos sont devenus plus vastes et plus proches des milieux naturels. Ils sont également enrichis afin de stimuler leurs occupants, grâce à l’ajout d’odeurs et d’accessoires ou par le biais d’une recherche active de la nourriture», affirme Jonas Livet, fondateur du cabinet d’expertise zootechnique Fox Consulting, qui reconnaît toutefois que tous les zoos ne se valent pas, certains étant plus investis que d’autres dans l’amélioration des conditions de détention des animaux.

Les gens ne veulent plus voir des animaux enfermés. Si les zoos ne réagissent pas, dans vingt à quarante ans ils seront contraints de fermer.

Vera Weber, de la Fondation Franz Weber

Alors, heureux, les animaux du zoo? Tout le monde ne partage pas cet avis. «En Suisse, les zoos sont tenus de respecter les critères de garde définis par l’ordonnance sur la protection des animaux. Mais celle-ci se contente de définir des standards minimums de bien-être, elle ne garantit en aucun cas des conditions optimales de détention. En d’autres termes, ce n’est pas parce qu’un zoo respecte la législation que les animaux vont bien!» assure Alexandra Spring, de la fondation alémanique Pour l’animal dans le droit.

Dignité de l’animal

Selon cette organisation, certains grands félins, tout comme les éléphants, ours polaires, girafes et manchots ne devraient pas avoir leur place dans les zoos helvétiques, en raison des spécificités de leur mode de vie. «Pensez à un guépard, qui à l’état sauvage peut courir à 100 km par heure, quelle surface lui faudrait-il pour être à son aise en captivité?» questionne Alexandra Spring. La juriste rappelle par ailleurs que la loi helvétique enjoint de respecter la dignité de l’animal: «Or peut-on parler de dignité pour des animaux enfermés et exposés? Ce ne sont pas des objets et à ce titre ils ne devraient pas être maintenus en captivité seulement pour l’amusement de l’humain.»

Une position largement partagée par Vera Weber, pour qui les zoos doivent se réformer en profondeur, afin de mieux correspondre aux attentes de la société: «Les gens ne veulent plus voir des animaux enfermés. Si les zoos ne réagissent pas, dans vingt à quarante ans ils seront contraints de fermer. Ils devraient par conséquent renoncer aux nouvelles naissances pour recentrer leurs activités sur l’accueil d’animaux blessés ou saisis dans les douanes. C’est seulement ainsi qu’ils se mettront vraiment au service des animaux.»

Les prélèvements dans la nature se font rares

La question des jeunes animaux nés en captivité est particulièrement sensible. Certes, ils peuvent être transférés entre zoos partenaires et ainsi on évite que de nouveaux individus soient prélevés dans la nature – ce type de prélèvement est d’ailleurs devenu très rare pour les mammifères, alors qu’ils restent courants pour alimenter les aquariums (lire complément). Les bébés animaux sont aussi très populaires auprès du public. Mais parfois, ils se retrouvent en surnombre et doivent être euthanasiés. L’abattage en 2014 au zoo de Copenhague d’un girafon d’un an et demi en parfaite santé, mais qui ne présentait pas un patrimoine génétique suffisamment original, avait ainsi déclenché une polémique.

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Malgré la pression qui monte, les responsables de zoo ne se disent pas découragés, bien au contraire. «A mon sens, les zoos de qualité sont promis à un bel avenir. Ils auront un rôle de plus en plus important à jouer, en raison du déclin massif de la biodiversité», assure Alex Rübel. Jonas Livet imagine également des zoos encore plus engagés dans la protection de la faune. Ces établissements du futur ne seraient plus une fin en eux-mêmes, mais plutôt un moyen de récolter des fonds pour des projets menés à l’étranger, tout en maintenant une mission d’information des visiteurs.

Projets futuristes

Tous les zoos n’ont pas choisi cette voie. «Certains d’entre eux, comme à Hanovre ou à Emmen aux Pays-Bas, s’orientent plutôt vers le parc de loisirs. Ils développent diverses attractions, quitte à reléguer les animaux au second plan», indique Jonas Livet. D’autres mettent en avant un projet architectural, à l’image du zoo de Vincennes, qui a rouvert en 2014 près de Paris. Le zoo danois de Givskud propose quant à lui une approche franchement futuriste avec son projet Zootopia, qui veut abolir tous types de cages et de murs pour offrir aux visiteurs une expérience immersive, pourquoi pas grâce à des véhicules sous forme de bulles qui permettraient de s’approcher des animaux. Le concept demande cependant encore à être précisé et financé et ne devrait pas voir le jour avant plusieurs années.

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Plus audacieux encore, les zoos du futur pourraient… ne plus abriter d’animaux. «La réalité virtuelle, les hologrammes, les visions en 360° offrent des possibilités très excitantes. Elles permettent de se plonger dans la vie des animaux d’une manière plus réaliste que dans un enclos. Les zoos doivent se saisir de ces outils plutôt que de répéter les mêmes concepts vieux de deux cents ans», soutient Vera Weber. Jonas Livet reconnaît l’intérêt de cette approche, mais l’imagine plutôt en complément de l’exposition d’animaux vivants. «Rien ne remplacera l’émotion suscitée par la rencontre avec l’animal en chair et en os», estime le zoologue.

Un zoo sans animaux… pourquoi pas? Si vous souhaitez expérimenter l’idée, vous pouvez vous rendre dans certains cinémas parisiens qui offrent depuis quelques semaines à leurs spectateurs la possibilité de nager avec des requins ou de voler avec des flamants roses, après avoir revêtu un casque de réalité virtuelle. Adrien Moisson, le fondateur de la société française The Wild Immersion, qui a monté cette expérience, ne cache pas son intention de remplacer les parcs zoologiques, «ces lieux d’un autre temps qui ne respectent pas les animaux».


* Derrick Jensen, Zoos. Le cauchemar de la vie en captivité, Editions Libre, 156 p.


Océanium, l’aquarium géant qui divise Bâle

Amener la mer à Bâle coûterait 100 millions de francs. Tel est en effet le budget estimé pour bâtir un gigantesque aquarium d’eau salée dans la cité rhénane. Baptisé «Océanium» et lancé par le zoo de Bâle, le projet ne fait pas l’unanimité.

S’il devait voir le jour, au plus tôt en 2024, l’Océanium serait unique en son genre en Suisse. Le bâtiment situé dans le quartier de la Heuwaage comprendrait quatre ou cinq étages et une quarantaine d’aquariums d’un volume total d’environ 4600 m³ d’eau. De quoi accueillir des milliers de poissons et autres organismes aquatiques. Et rivaliser, en termes de taille, avec l’aquarium de Gênes, notamment.

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Mais un aquarium de mer en Suisse, à des centaines de kilomètres de la côte la plus proche, est-ce vraiment raisonnable? «Une absurdité» pour Vera Weber, dont la fondation mène la fronde contre le projet. «Les concepteurs d’Océanium prétendent contribuer à la protection des océans. En fait, cet aquarium serait constitué à 90% d’animaux issus de la nature. De telles captures entraînent des dégradations des écosystèmes naturels. Par ailleurs, 80% des poissons meurent lors de leur transfert vers les aquariums.»

Mortalité des poissons

Les concepteurs du projet ne nient pas que les animaux exposés seront en majorité issus des océans. Mais d’après eux, des méthodes de capture non destructrices existent. Ils contestent par ailleurs les chiffres de leurs opposants concernant la mortalité des poissons: «Une étude de l’Office fédéral des affaires vétérinaires a montré qu’environ 1,5% des animaux ne survivent pas au transport», peut-on lire sur le site internet d’Océanium.

Le financement du projet soulève aussi des questionnements. Le zoo de Bâle affirme pouvoir compter sur de nombreux dons privés. En 2015, un mécène anonyme s’est ainsi engagé à verser 30 millions de francs en faveur de l’aquarium. Certains redoutent néanmoins que les finances publiques soient mises à contribution.

Alors, Bâle doit-il se doter ou non de cette nouvelle attraction? Il reviendra au peuple de trancher. A la suite d'un vote favorable au projet du Grand Conseil, un comité référendaire anti-Océanium s’est constitué au mois de novembre dernier. En l’espace d’un mois, près de 5000 signatures ont été récoltées puis validées par la Chancellerie. La votation pourrait se tenir au plus tôt en mai 2019.


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