L’injustice au cœur du changement climatique
GIEC
Le cinquième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat est le premier à se soucier d’éthique

«Les plus vulnérables ont faiblement contribué aux émissions de CO2»
Le cinquième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) est le premier à se soucier d’éthique. Le Britannique John Broome, de l’Université d’Oxford, est l’un des deux philosophes qui ont participé aux travaux.
Le Temps: En quoi l’éthique a-t-elle sa place dans un rapport sur l’évaluation du climat?
John Broome : Les choix auxquels sont confrontés les gouvernements à cause du changement climatique ont une importante dimension éthique. Un des aspects problématiques est que les personnes les plus vulnérables face aux modifications du climat – globalement celles qui vivent dans les pays les moins développés – n’ont que faiblement contribué aux émissions de gaz à effet de serre à l’origine de ces changements. Ce sont principalement les pays riches qui émettent de grandes quantités de CO2 et sont responsables de la situation actuelle. Un groupe de personnes a donc causé du tort à un autre groupe de personnes, ce qui représente moralement une injustice, d’autant plus que le premier groupe est plutôt aisé tandis que le second est pauvre.
– Dans quelle atmosphère avez-vous travaillé au sein du GIEC?
– Je fais partie depuis 2011 du groupe de travail III du GIEC, qui s’intéresse aux solutions à mettre en place afin d’atténuer les effets du changement climatique. Au départ, j’étais assez inquiet de l’accueil que j’allais recevoir de la part des autres auteurs. La philosophie étant un domaine où les chercheurs travaillent de manière solitaire, je n’étais pas habitué au processus collectif d’écriture en vigueur au GIEC. Finalement, ma collaboration avec les autres scientifiques s’est plutôt bien passée. Par contre, l’échange avec les délégués des pays membres du GIEC, avec lesquels nous avons dû nous mettre d’accord pour la rédaction de la version courte de notre rapport, dite «Résumé pour les décideurs», a parfois été difficile. Certains ont eu des commentaires constructifs, mais d’autres ont fait de l’opposition pour des raisons politiques. Des informations importantes ont par exemple été retirées de la version finale du Résumé sous l’influence de la délégation d’Arabie saoudite. Je pense que le processus actuel de production des rapports du GIEC, dans lequel les politiques ont le droit de réviser le travail des scientifiques, n’est pas le bon.
– Pensez-vous tout de même avoir contribué au débat?
– Oui. Les rapports du GIEC ne sont pas là pour faire des recommandations, mais plutôt pour fournir un état des connaissances sur la situation, c’est donc ce que nous avons essayé de faire. Une de nos pistes de réflexion concernait la responsabilité des différents pays dans la situation climatique. Nous posons la question de savoir qui devrait fournir des efforts aujourd’hui, et à quelle hauteur. Un autre aspect est celui des valeurs que nous entendons défendre: luttons-nous contre le changement climatique seulement pour le bien-être humain, ou devrait-on aussi prendre en compte celui des animaux ou encore l’état de l’environnement? Doit-on attacher plus d’importance au bien-être des générations futures ou à celui des êtres humains d’aujourd’hui? Nous espérons convaincre les décideurs politiques de prendre en compte différents types de valeurs.