Pour la première fois, une étude épidémiologique nationale fait le point sur la surmortalité dans l’un des pays les plus atteints par la pandémie avec 36 000 victimes au 8 octobre. Cet article a été rendu public vendredi 9 octobre dans la revue scientifique PLOS One. Conclusion des chercheurs de l’University College of London et de l’Imperial College of London: en Lombardie, la région la plus touchée de l’Italie, 10 197 décès en excès «peuvent s’expliquer par le fait que certaines personnes qui auraient normalement eu accès aux soins de santé ont été empêchées ou retardées d’une manière ou d’une autre». Un phénomène similaire, mais dans des proportions moindres, s’est produit au nord-ouest et au nord-est de l’Italie, avec plus de 2000 décès supplémentaires.
«Ce sont ces décès qui, avec une meilleure planification des soins de santé, auraient pu être évités»
Gianluca Baio, chercheur à l’University College of London
Certes, une petite partie d’entre eux a peut-être été causée par le coronavirus, mais n’a pas été enregistrée comme telle, précisent les chercheurs. Cela dit, un bon nombre de morts trouve son origine dans la saturation des systèmes de santé. Pour Gianluca Baio, chercheur au Centre statistique de l’University College of London et coauteur de l’étude, ce calcul de la surmortalité pendant la première vague de Covid-19 «donne l’ampleur réelle de la tragédie, en allant au-delà des décès confirmés par le Covid-19 pour inclure ceux qui étaient une conséquence indirecte de la pandémie. Ce sont ces morts qui, avec une meilleure planification des soins de santé, auraient pu être évitées.»
Pourquoi ces personnes ont-elles donc succombé? «Parce qu’elles ont sûrement eu un infarctus, un accident vasculaire cérébral ou une infection, répond Silvia Stringhini, directrice de l’Unité d’épidémiologie populationnelle des Hôpitaux universitaires genevois (HUG). Il faut comprendre qu’au mois de mars et avril, dans cette région, le danger le plus important pour la population n’était pas d’attraper le covid, mais de souffrir d’autres maladies. Il était simplement impossible d’accéder aux soins. Même les médecins de famille ne pouvaient plus aider, car beaucoup étaient contaminés», rappelle cette spécialiste, elle-même originaire de Lombardie et qui a assisté à la débâcle.
Instrumentalisation
Les chiffres, livrés pour la première fois par cette étude, sont très parlants. Et l’enjeu est grand: depuis le début de la pandémie, le calcul des victimes du covid est instrumentalisé à des fins politiques pour instaurer des politiques préventives, ou au contraire minimiser l’impact de la pandémie, selon les pays. Pour éviter les polémiques, les scientifiques britanniques ont développé un modèle clair et efficace, basé sur les chiffres officiels de l’Institut italien de statistique, dont les données 2020 concernent 7251 villes du pays, soit plus de 93% de sa population. Leurs résultats ont été comparés et pondérés avec la surmortalité lors des hivers 2016, 2017, 2018 et 2019.
Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale à l’Université de Genève, rappelle que «l’étude de la mortalité en excès est l’une des meilleures façons d’évaluer les décès causés par le Covid-19». Pour cet expert, cette recherche est remarquable, notamment car c’est l’une des premières à se pencher aussi finement sur la surmortalité et ses variations dans le temps, et dans l’espace. D’un village à l’autre, les taux de décès varient en effet énormément. Pour la surmortalité chez les hommes, puisque les scientifiques la distinguent de celle des femmes, la ville de Plaisance, en Emilie-Romagne, est la première à atteindre un pic à la mi-mars, avec 177 morts pour 100 000 habitants, soit une surmortalité de 87%, suivie quelques jours plus tard de Bergame avec 89%, puis Pesaro avec 84%. Pendant ce temps, la proportion n’atteindra que 63% à Milan…
«L’hétérogénéité spatiale très importante de la première vague de Covid-19 est confirmée par cette étude, relève Antoine Flahault. Cela prouve aussi le rôle important de la réalisation massive de tests au début de la pandémie. Les régions d’Italie comme la Vénétie, qui ont su et pu déployer rapidement une infrastructure de testing massive, ont enregistré de bien meilleurs résultats que les autres.»