Pour réaliser le diagnostic de l’infection au virus Ebola et les examens biologiques permettant le suivi des patients, les scientifiques utilisent des laboratoires P4 dépressurisés à haute sécurité à l’intérieur desquels ils pénètrent par un système de sas de sécurité. Sophistiqués, exigeants en maintenance et en électricité, de tels équipements sont hors de portée des terrains ou se déploient les épidémies, compromettant la survie des patients.

C’est pour combler cette faille rendue visible lors des épidémies qui ont frappé l’Afrique de l’Ouest en 2014 et 2015 que les ingénieurs du programme EssentialTech de l’Ecole Polytechnique fédérale de Lausanne ont conçu un laboratoire portatif P4, en collaboration avec le service des maladies infectieuses des Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG). Présenté à l’état de maquette dans le cadre du Global Health Forum (GHF) qui s’est tenu à Genève du 19 au 21 avril 2016, il se présente sous la forme d’une boîte fermée combinée à un système de sas, à laquelle sont intégrés des gants dans lesquels l’expérimentateur peut glisser ses mains.

«Ces innovations s’inscrivent dans un partenariat et répondent à des besoins très identifiés sur le terrain par des acteurs de première ligne, explique Francois Chappuis, qui dirige du service de médecine tropicale et humanitaire des HUG. Cette collaboration avec les partenaires du Sud est la meilleure manière de faire accepter les innovations par les futurs utilisateurs». «Nous sommes partis du constat que la plupart des appareils conçus pour les pays riches ne fonctionnaient pas dans les pays pauvres. Les décharges de ces pays sont remplies d’appareils inutilisés», complète Klaus Schönenberger, directeur d’EssentialTech.

Coupures d’électricité

Programme phare de l’EFPL, EssentialTech vise à développer des appareils capables de fonctionner dans les hôpitaux de district des pays en développement malgré la défaillance des infrastructures: alimentation fluctuante en électricité et coupures fréquentes, chaleur et taux d’humidité élevés, poussière.

A côté de son usage sur les sites épidémiques, le P4 portable est ainsi pensé de manière à répondre aux besoins en diagnostic de routine des hôpitaux de district, qu’il s’agisse d’infections virales et bactériennes ou d’examens biologiques. Pour compenser les fluctuations du réseau électrique, il devrait être doté d’un système de stabilisation prévu pour résister aux instabilités comprises entre 90 et 280 volts, tirant parti d’une autre innovation d’EssentialTech, GlobalDiagnostiX.

Présenté à l’état de prototype, cet appareil de radiologie a été développé suivant une approche multidisciplinaire impliquant 40 chercheurs, médecins, ingénieurs ou encore ergonomes, en Suisse et au Cameroun. Pour limiter les besoins en électricité, ergonomes et ingénieurs ont mis au point un système mécanique facile manier, fondé sur le principe du contrepoids permettant le positionnement manuel de l’appareil. Le moteur utilisé dans les pays industrialisés a ainsi été supprimé, tandis que la technologie numérique pour la génération des images a été privilégiée aux films radiologiques afin d’économiser les consommables.

Même démarche pour la conception de l’appareil d’échographie dDopp, commercialisé par la société Uni-Com Medical. En remplacement du ventilateur destiné à refroidir le circuit intégré, fragile et consommateur d’énergie, les ingénieurs ont mis au point un boîtier dont la forme et la matière favorisent l’évacuation de la chaleur. Coulé en une seule pièce d’aluminium qui lui confère sa robustesse, sa surface est striée de rainures destinées à amplifier la surface d’échange. Batterie, circuit intégré et logiciel d’analyse de l’image forment par ailleurs des modules séparés, pouvant être remplacés indépendamment les uns des autres.

Produits accessibles et durables

Les projets présentés au GHF ont aussi rappelé qu’innovation ne rime pas forcément avec technologie. Souvent, c’est le pas de côté qui fait la différence. Au Népal, un système de transport d’urgence des personnes victimes de morsures de serpent dans les centres médicaux a été développé depuis 10 ans par des volontaires de la Croix Rouge népalaise, en partenariat avec le B. P. Koirala Institute of Health Sciences et les HUG. Fondé sur l’utilisation de motos mobilisable 24 h sur 24, le concept a récemment été transposé en Inde à des ambulances conventionnelles.

Les porteurs du programme EssentialTech conçoivent quant à eux l’innovation comme une approche intégrée, consistant à penser un produit dans l’intégralité de son cycle de vie, de sa conception à son recyclage. Les produits qui en résultent doivent résister au transport sur des routes cahoteuses, et bénéficier d’une maintenance adaptée, sans exclure le modèle économique de produits accessibles et durables. GlobalDiagnostiX devrait ainsi être vendu avec plus de six années de maintenance et la formation de personnel qualifié, pour un coût dix fois moins élevé que celui d’un appareil équivalent dans les pays développés.

Avec à la clé, la réponse à un besoin clairement identifié. D’après l’organisation mondiale de la santé, les deux tiers de la population des pays en développement n’ont pas accès à l’imagerie médicale de base, mourant des suites de la tuberculose ou de blessures corporelles. Situation d’autant plus critique que 90% des victimes d’accidents de la route vivent dans ces pays et dans les pays émergents.