Trouvera-t-on bientôt des côtes de bœuf clonées dans les restaurants d’Asie? L’entreprise de biotechnologie chinoise Boyalife vient d’annoncer l’ouverture prochaine de la plus grande usine de clonage du monde dans la ville portuaire de Tianjin, au nord-est de la Chine.
Les premières bêtes pourraient sortir de ces laboratoires d’ici à sept mois, pour arriver sur le marché alimentaire, local dans un premier temps. Objectif affiché? Un million de bovins chaque année à l’horizon 2020. L’usine permettra également de dupliquer des chevaux de course pur-sang et des chiens policiers renifleurs.

Que penser de cette annonce ultra-médiatisée? Denis Duboule, professeur en biologie et génomique de l’évolution à l’Université de Genève et à l’EPFL, se veut très sceptique sur le projet.

1. Une communication fondée sur le fantasme du clonage

Avant même d’exister, ce vaste cheptel ne passe pas inaperçu. La communication de Boyalife est bien rodée et le scientifique chinois Xu Xiaochun, CEO de l’entreprise, multiplie les déclarations fracassantes, au risque de survendre son projet. Sa dernière sortie, mardi, a fait le tour des médias: il posséderait la technologie pour cloner des humains. Or son entreprise s’est associée avec la société sud-coréenne Sooam qui avait faussement prétendu en 2004 avoir créé des cellules souches dérivées d’un embryon humain cloné. Ce remue-ménage fait sourire Denis Duboule: «Je ne comprends pas le fond de leur démarche. L’annonce de la construction de cette usine m’a beaucoup surpris.»

2. L’impact de la génétique sur la qualité de la viande est marginal

Le site de production est censé faire le bonheur des bouchers. Elle permettra «d’abattre moins et de produire plus», assure Xu Xiaochun qui ambitionne de devenir le premier fournisseur planétaire de bœuf cloné. Les animaux dupliqués, dont le patrimoine génétique est identique, seront sélectionnés pour la qualité de leur viande. Avec la promesse que leur chair sera aussi goûteuse que le délicat et luxueux bœuf japonais de Kobé.

«C’est complètement absurde, la qualité de la viande n’est pas déterminée par la génétique, souligne Denis Duboule. Le mode d’élevage et le bien-être de l’animal sont des facteurs bien plus importants. Si les vaches sont entassées dans des productions à haut débit, leur viande ne sera pas bonne.» D’ailleurs, le groupe Boyalife ne précise pas comment il assurera la bonne santé de ses milliers d’animaux. En revanche, rien à craindre pour le consommateur: «C’est comme si les vaches étaient jumelles. Il n’y a absolument aucun risque alimentaire», dit le biologiste genevois.

3. On ne clone pas un animal comme une tomate

Produire des milliers d’exemplaires d’une vache demande des manipulations délicates, qui ne sont pas sans risques. «C’est extrêmement compliqué techniquement de dupliquer un animal. Le clonage peut aboutir à des malformations, notamment au niveau des articulations», ajoute Denis Duboule. Dans un avis publié en 2008, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) se disait déjà inquiète quant à la santé et au bien-être de ces animaux. Leur taux de mortalité est élevé, selon l’organisation.

Face à ce constat, le Parlement européen a adopté en première lecture un texte interdisant le clonage d’animaux à des fins d’élevage et d’alimentation mais aussi toute importation, sur le territoire de l’Union européenne (UE), de leurs descendants ou de produits issus de cette technologie. Reste alors la question de la traçabilité de ces derniers: «Ce sera probablement possible en effectuant des tests, estime le généticien. Si des veaux venant de Chine ont exactement le même génome, on pourra supposer qu’ils proviennent d’une usine de clonage. Mais il faudra mettre en place un étiquetage pour indiquer la provenance de ces produits.» Un système de certificats est d’ailleurs prévu par l’UE.

4. La rentabilité des vaches clonées s’annonce fragile

Pour que cette ferme industrielle géante sorte de terre, le groupe Boyalife et ses partenaires ont investi pas moins de 30 millions d’euros. Une somme conséquente pour un projet à la rentabilité incertaine. Les coûts de production importants, dus à la technologie utilisée, semblent en contradiction avec l’ambition de fournir une quantité de viande importante. «J’ai vraiment beaucoup de peine à imaginer l’utilisation du clonage pour une production de nourriture. Les gains s’annoncent extrêmement faibles», estime Denis Duboule.

Le prix de cette viande pourrait alors grimper. «La viande risque d’être dix fois plus chère et vendue dans des boucheries réservées à une clientèle aisée. Il est difficile de faire une production de masse avec une technologie aussi poussée.» La viande clonée n’est pas près d’arriver dans les rayons des supermarchés européens.