Le maïs, qui est de loin la céréale la plus cultivée au monde, finit plus souvent brûlé comme agrocarburant plutôt que directement dans nos estomacs. En 2019, 214 millions de tonnes de maïs ont ainsi été transformés en carburant, soit 19% du maïs mondial, tandis que 146 millions de tonnes ont fini dans nos assiettes, soit seulement 13%. La majorité de la production mondiale de maïs (59%) nourrit les animaux d’élevage.
Le blé, qui cristallise une grande partie des inquiétudes actuelles liées aux approvisionnements, demeure principalement destiné à notre alimentation. 70% du blé en 2019 ont fini directement dans notre alimentation, soit bien plus que les 129 millions de tonnes, soit 18%, qui ont servi à nourrir les animaux de rente. La quantité de blé destinée à l’élevage demeure néanmoins substantielle dans les pays industrialisés. Voici ci-dessous une manière de la mettre en perspective avec le conflit ukrainien.
En d’autres termes, la totalité des exportations de blé d’Ukraine et de Russie ne pourrait pas couvrir les besoins européens pour l’élevage et la production de carburant. A noter que, contrairement à l’UE ou au Royaume-Uni, la Suisse ne convertit pas de blé en carburant. Elle importe par exemple la totalité de ses besoins en bioéthanol (E85). En Suisse, ce sont 251 000 tonnes de blé qui ont nourri les élevages en 2019, soit l’équivalent de la moitié de la production indigène, 497 000 tonnes, selon les données de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).
Nourriture vs agrocarburant
Fin mars, la Fédération européenne pour le transport et l’environnement (T & E) a dénoncé l’impact de l’industrie des agrocarburants sur la sécurité alimentaire dans leur rapport «Food not Fuel». Selon la fédération, c’est l’équivalent de 15 millions de miches de pain qui sont brûlées quotidiennement au sein de l’UE pour produire de l’agrocarburant.
Le gouvernement chinois a depuis le début de la guerre averti qu’il «contrôlera strictement la transformation du maïs en bioéthanol», en raison de la pénurie de maïs. Avec la flambée des prix des carburants, l’Agence internationale de l’énergie table néanmoins sur unehausse de 5% de la demande en agrocarburants pour cette année par rapport à 2021.
Pour éviter une pénurie de céréales, en consommer davantage
Si un tiers des céréales mondiales consommables par les humains est destiné aux animaux, cette part ne représente qu’une modique portion de leur régime alimentaire. Les animaux de rente consomment en effet six fois plusde matières impropres à la consommation humaine: herbe, paille, tourteau, etc.
En nourrissant les animaux avec des céréales, on produit indirectement notre nourriture sous forme de lait, viande et œufs. Mais cette transformation est peu efficace en termes d’apport énergétique: ainsi, pour 100 calories de céréales servies à un bœuf, seules deux calories sont restituées dans l’assiette sous forme de viande.
Paradoxalement, un moyen simple pour éviter une pénurie de céréales serait d’en manger davantage, en remplacement de la viande. C’est l’appel lancé depuis mars par l’Institut de recherche de Potsdam sur les effets du changement climatique en Allemagne, qui a publié une lettre ouverteà l’intention de l’Union européenne signée par 660 experts et scientifiques. Afin d’assurer la sécurité alimentaire et de limiter le dérèglement climatique, ce groupe d’experts préconise de diminuer la demande en céréales pour les animaux, plutôt que de chercher à maintenir son offre. Selon leur estimation, une baisse d’un tiers du volume de céréales destiné aux animaux dans l’UE suffirait à compenser entièrement les exportations céréalières ukrainiennes.