Publicité

La majorité des céréales produites dans le monde n’est pas consommée par les humains

Alors que le risque de famine plane pour plusieurs pays, le blé ukrainien fait l’objet de toutes les convoitises. Le monde produit pourtant assez de céréales pour nourrir l’humanité entière: le problème est que la plupart est consommée par les animaux et les voitures

Un agriculteur conduit un tracteur dans un champ dans la région de Vinnytsia, en Ukraine, le 2 mai 2022. — © Photo: Oleg Petrasyuk / KEYSTONE - Photomontage: Le Temps
Un agriculteur conduit un tracteur dans un champ dans la région de Vinnytsia, en Ukraine, le 2 mai 2022. — © Photo: Oleg Petrasyuk / KEYSTONE - Photomontage: Le Temps

A la suite de l’accord signé par l’Ukraine et la Russie sur l’exportation des céréales le 22 juillet, un premier navire céréalier ukrainien était attendu dimanche dans le port de Tripoli, au Liban. La Russie et l’Ukraine font partie des principaux producteurs mondiaux de céréales, plus d’un tiers des exportations mondiales de blé en 2019 provenaient de ces deux pays.

Quelque 20 millions de tonnes de céréales sont encore bloquées dans des silos ukrainiens, tandis que 47 millions de personnes supplémentaires dans le monde sont exposées à «une faim aiguë» depuis le début de la guerre, selon le Programme alimentaire mondial (PAM). Si la reprise des exportations ukrainiennes devrait contribuer à atténuer la crise alimentaire, il faut souligner qu’il y a déjà assez de céréales pour nourrir l’humanité entière. Le nœud du problème est leur allocation: 43% des céréales sont utilisées pour nourrir les animaux d’élevage ou brûlées comme agrocarburant.

Le maïs, qui est de loin la céréale la plus cultivée au monde, finit plus souvent brûlé comme agrocarburant plutôt que directement dans nos estomacs. En 2019, 214 millions de tonnes de maïs ont ainsi été transformés en carburant, soit 19% du maïs mondial, tandis que 146 millions de tonnes ont fini dans nos assiettes, soit seulement 13%. La majorité de la production mondiale de maïs (59%) nourrit les animaux d’élevage.

Le blé, qui cristallise une grande partie des inquiétudes actuelles liées aux approvisionnements, demeure principalement destiné à notre alimentation. 70% du blé en 2019 ont fini directement dans notre alimentation, soit bien plus que les 129 millions de tonnes, soit 18%, qui ont servi à nourrir les animaux de rente. La quantité de blé destinée à l’élevage demeure néanmoins substantielle dans les pays industrialisés. Voici ci-dessous une manière de la mettre en perspective avec le conflit ukrainien.

En d’autres termes, la totalité des exportations de blé d’Ukraine et de Russie ne pourrait pas couvrir les besoins européens pour l’élevage et la production de carburant. A noter que, contrairement à l’UE ou au Royaume-Uni, la Suisse ne convertit pas de blé en carburant. Elle importe par exemple la totalité de ses besoins en bioéthanol (E85). En Suisse, ce sont 251 000 tonnes de blé qui ont nourri les élevages en 2019, soit l’équivalent de la moitié de la production indigène, 497 000 tonnes, selon les données de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).

Lire aussi: Face à la sécheresse, des agriculteurs forcés d’enclencher une désalpe précoce

Nourriture vs agrocarburant

Fin mars, la Fédération européenne pour le transport et l’environnement (T & E) a dénoncé l’impact de l’industrie des agrocarburants sur la sécurité alimentaire dans leur rapport «Food not Fuel». Selon la fédération, c’est l’équivalent de 15 millions de miches de pain qui sont brûlées quotidiennement au sein de l’UE pour produire de l’agrocarburant.

Le gouvernement chinois a depuis le début de la guerre averti qu’il «contrôlera strictement la transformation du maïs en bioéthanol», en raison de la pénurie de maïs. Avec la flambée des prix des carburants, l’Agence internationale de l’énergie table néanmoins sur unehausse de 5% de la demande en agrocarburants pour cette année par rapport à 2021.

Pour éviter une pénurie de céréales, en consommer davantage

Si un tiers des céréales mondiales consommables par les humains est destiné aux animaux, cette part ne représente qu’une modique portion de leur régime alimentaire. Les animaux de rente consomment en effet six fois plusde matières impropres à la consommation humaine: herbe, paille, tourteau, etc.

En nourrissant les animaux avec des céréales, on produit indirectement notre nourriture sous forme de lait, viande et œufs. Mais cette transformation est peu efficace en termes d’apport énergétique: ainsi, pour 100 calories de céréales servies à un bœuf, seules deux calories sont restituées dans l’assiette sous forme de viande.

Paradoxalement, un moyen simple pour éviter une pénurie de céréales serait d’en manger davantage, en remplacement de la viande. C’est l’appel lancé depuis mars par l’Institut de recherche de Potsdam sur les effets du changement climatique en Allemagne, qui a publié une lettre ouverteà l’intention de l’Union européenne signée par 660 experts et scientifiques. Afin d’assurer la sécurité alimentaire et de limiter le dérèglement climatique, ce groupe d’experts préconise de diminuer la demande en céréales pour les animaux, plutôt que de chercher à maintenir son offre. Selon leur estimation, une baisse d’un tiers du volume de céréales destiné aux animaux dans l’UE suffirait à compenser entièrement les exportations céréalières ukrainiennes.

Lire aussi: Le marché du blé bousculé de part et d’autre