Médecine
Peut-on rendre la vue aux malvoyants? De l’utilisation de cellules souches à l’implantation de puces électroniques sur la rétine, les pistes thérapeutiques se multiplient.

Maladies de l’œil: palette de thérapies en vue
Médecine Les premiers traitements visant à redonner la vue arrivent sur le marché
Chacun concerneun type de maladie
Reconstruire la rétine avec des cellules souches, injecter des gènes dans les yeux ou encore greffer des implants électroniques: les pistes thérapeutiques pour redonner la vue aux aveugles et aux malvoyants se sont multipliées récemment. Ces handicaps découlant de différentes affections, il est en effet difficile d’imaginer un traitement universel, même si la plupart de ces troubles concernent la rétine.
Dans un œil sain la lumière pénètre à travers la cornée, cette membrane transparente qui tapisse sa surface. Après avoir franchi le cristallin, elle parvient sur la rétine, qui constitue le fond du globe oculaire. Les cellules photoréceptrices de la rétine traduisent le signal lumineux reçu en un signal électrique et transmettent celui-ci aux cellules nerveuses du nerf optique qui l’acheminera jusqu’au cortex visuel, dans la partie postérieure du cerveau. Dans certaines maladies toutefois, cette transduction du signal ne s’opère plus, ou mal. C’est le cas de la rétinite pigmentaire, un spectre de maladies génétiques de la rétine. Cette affection représente la principale cause de la cécité avec la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA): dans ce cas, le centre du champ de vision des patients devient opaque.
Pour rétablir une vision moins handicapante, les médecins ont logiquement tenté de réparer la rétine. La piste la plus avancée est sans doute la rétine artificielle. Développée depuis les années 1990, elle consiste à greffer chirurgicalement sur la rétine une minuscule plaque d’électrodes ressemblant à une planche de fakir, plaque qui va remplir la tâche des cellules photoréceptrices.
Aujourd’hui, l’appareil le plus perfectionné se nomme Argus II. Développé par la société californienne Second Sight, dont le siège européen se trouve à Lausanne, ce dispositif a déjà obtenu les autorisations légales en Europe et aux Etats-Unis et équipe une soixantaine de personnes dans le monde (LT du 07.01.2014), une vingtaine d’autres ayant auparavant reçu la première version de l’appareil. Un premier patient suisse devrait le recevoir en 2014.
Ce dispositif est constitué d’une caméra miniature fixée sur une paire de lunettes qui capture les images puis les transmet à un microprocesseur, situé dans un petit boîtier tenant dans la poche. Ce dernier les encode en un signal électrique et les envoie aux électrodes placées au fond de l’œil via une liaison sans fil. Celles-ci le délivrent enfin aux neurones du nerf optique. Résultat, les patients implantés voient à nouveau. «Leur vision est bien différente de la nôtre, et il faut un certain entraînement pour s’y accoutumer», dit Thomas Wolfensberger, professeur à l’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin à Lausanne. «Imaginez une tablette tactile tenue devant vous: c’est à peu près la taille du champ visuel perçu. On voit les formes et les mouvements, dans différentes teintes de gris», poursuit le médecin qui a participé au développement de l’Argus II. Une vision restreinte donc, mais pour des patients aveugles, le bénéfice est énorme: ils peuvent s’orienter, saisir des objets et percevoir des mouvements sans recourir à d’autres sens. Et dans un futur proche, le perfectionnement des techniques électroniques et chirurgicales permettra d’obtenir un champ visuel encore plus large.
L’Argus II intervient à des stades de cécité avancés. Mais d’autres méthodes visent à restaurer la vision plus précocement. C’est le cas de la thérapie génique. La rétinite pigmentaire étant d’origine génétique, l’idée serait de remplacer le gène défectueux qui cause cette affection par son pendant fonctionnel. Comment? En utilisant un virus «neutralisé» qui irait injecter ledit gène dans les cellules rétiniennes. En janvier, Robert MacLaren et ses collègues de l’Université d’Oxford ont publié d’encourageants résultats.
Les médecins ont opéré des patients souffrant de choroïdérémie, une maladie de la famille des rétinites pigmentaires dans laquelle un gène nommé REP1 est dysfonctionnel. Ils ont introduit dans leur rétine un vecteur viral contenant une «bonne» version de REP1. Après six mois, les six patients opérés sont en bonne santé et leur vision s’est améliorée. «Cette technique n’en est qu’à ses débuts, prévient la professeure Francine Behar-Cohen, directrice médicale de l’Hôpital Jules-Gonin. Mais les résultats sont prometteurs et seront vite améliorés.»
La chercheuse doit elle-même prochainement réaliser des essais cliniques de thérapie génique chez des patients atteints d’une maladie proche, l’amaurose congénitale. «On sait que ça fonctionne, poursuit-elle. Nous devons améliorer la chirurgie et optimiser les vecteurs viraux pour apporter des bénéfices plus importants en termes de vision.»
Soignera-t-on bientôt tous les aveugles grâce au génie génétique? Non, car d’après Francine Behar-Cohen, c’est le propre des thérapies personnalisées: chacune ne traitera qu’une seule anomalie génétique. Or, «pour chaque type de maladie, il faut des années de recherche et de développement en amont».
Encore à un stade précoce de développement, une autre piste pourrait concerner un plus large nombre de patients: l’utilisation de cellules souches, ces cellules du corps indifférenciées capables de se transformer en tous types de cellules de divers organes. «Une approche très séduisante», dit Thomas Wolfensberger. Et pour cause: en utilisant ces cellules, les médecins pourraient fabriquer une nouvelle rétine fonctionnelle. Des essais cliniques ont déjà eu lieu aux Etats-Unis. Mais pour l’instant, la mise en pratique de cette technique reste un objectif lointain, des questions importantes restant à régler, notamment concernant le devenir des cellules une fois qu’elles ont été injectées dans l’organisme. La rétine est en effet constituée de plusieurs couches de cellules finement connectées, une organisation que les scientifiques ne savent pas encore reproduire.
Le principal inconvénient de toutes ces méthodes est peut-être leur coût, un obstacle qui prive les plus modestes de toute chance de guérison. Pour y palier, Zeev Zalevsky, de l’Université israélienne de Bar-Ilan, a imaginé une approche bien moins onéreuse, basée sur la substitution sensorielle. Elle repose sur l’utilisation d’une lentille d’un genre nouveau, capable de stimuler tactilement la cornée. Celle-ci reçoit les images encodées par une caméra et l’«imprime» directement sur la cornée, par de petites stimulations électriques. Le patient, après une période d’entraînement, peut alors interpréter ces sensations cornéennes en images, un peu comme un aveugle lirait du braille en se reposant sur son sens du toucher.
Des dispositifs analogues existent et utilisent la sensibilité de la langue. «Je voulais un système qui sollicite les yeux, pas un autre organe, dit Zeev Zalevsky. Or il se trouve que la cornée est bien plus sensible que la langue.» Sans compter qu’un appareil logé dans la bouche empêche le patient de s’exprimer.
Simple et bon marché, son concept enthousiasme beaucoup les professeurs Behar-Cohen et Wolfensberger. Ce dernier estime que «c’est une piste hyper-intéressante. La plasticité du cerveau permet au patient de voir avec des régions qui n’ont a priori rien en commun, comme ici celles liées au toucher.» Zeev Zalevsky veut désormais lever des fonds et réaliser de larges essais cliniques. Une piste encourageante qu’il convient de garder à l’œil.
«L’inconvénient de ces méthodes est leur coût, qui prive les plus modestes de toute chance de guérison»