Sur Twitter, par exemple, il suffit de taper «hypoxie» – le terme désignant un manque d’apport en oxygène au niveau des tissus de l’organisme – et «masque» pour voir fleurir phrases chocs et autres récits d’expériences personnelles. Extraits choisis: «Respirer du C02 a pour effet de tuer les neurones». Ou: «L’hypoxie peut entraîner la mort dans ses formes graves. Parents, pensez à vos enfants, enlevez-les de l’école.» Et encore: «Moi qui suis surveillant de collège, depuis le début de l’année scolaire, je vois une hausse non négligeable des malaises d’élèves et des crises de stress. Et quand ils retirent le masque et qu’ils respirent cinq minutes, ça va mieux. Donc vous estimez que tout est normal?»
Certains médecins semblent également prendre ouvertement position sur la question, quitte à créer la polémique. Dernière en date: une généraliste alsacienne qui diffusait sur Facebook un certificat médical permettant à qui le souhaitait d’invoquer une contre-indication médicale au port du masque. L’affaire a été portée en août devant la justice par l’Agence régionale de santé du Grand Est.
35 kilomètres avec un masque
Alors qu’en est-il exactement des effets du masque sur la respiration? Y a-t-il des raisons médicales qui peuvent effectivement justifier de ne pas en porter?
Si les études ne sont pas légion sur la question, les arguments des sociétés médicales tendent tous à converger: bien que le masque puisse être inconfortable à porter et qu’une sensation d’essoufflement puisse être perçue par certaines personnes, il n’y a aucune évidence quant au fait que le port d’un masque chirurgical ou en tissu entraînerait un réel manque d’oxygène dans le sang ou une augmentation des niveaux de dioxyde de carbone. «Durant les pics de grippe saisonnière, le personnel soignant non vacciné porte déjà un masque toute la journée, tout comme les chirurgiens durant leurs interventions. Si cela nuisait aux capacités opératoires ou à la faculté de concentration, cela aurait déjà été observé», pointe Philippe Eggimann, président de la Société vaudoise de médecine (SVM).
Aucun élément objectif ne peut démontrer une diminution de la capacité respiratoire avec un masque
Philippe Eggimann, président de la Société vaudoise de médecine
Plusieurs expériences ont par ailleurs été conduites dans ce sens depuis le début de la pandémie. Parmi ces dernières, un médecin du nom de Tom Lawton et résidant dans le Yorkshire, en Angleterre, a couru 35 kilomètres avec un masque sur le visage tout en vérifiant régulièrement son niveau d’oxygène. Résultat: la saturation en oxygène dans son sang n’est jamais descendue en dessous de 98%.
Autre argument: «Les masques chirurgicaux parviennent à filtrer des particules virales dont la taille est comprise entre 40 et 50 nanomètres, alors que les molécules d’oxygène et de CO2 mesurent tout au plus 0,2 nanomètre, analyse Philippe Eggimann, qui a également enseigné la physiologie respiratoire en Faculté de médecine. Aucun élément objectif ne peut démontrer une diminution de la capacité respiratoire avec un masque.»
The mask didn't come off at all (no food or drink) - and oxygen levels were stubbornly 98% every time I checked.
— 𝚃𝚘𝚖 𝙻𝚊𝚠𝚝𝚘𝚗 💙 (@LawtonTri) 20 juillet 2020
Please feel free to cite this when anyone suggests they're bad for you, and stay safe - and COVID-free.
Thanks! https://t.co/ApgpoOTZCz (n/n)
La composition en question
Le niveau de dioxyde de carbone dans le sang peut néanmoins dépendre de la composition et de l’ajustement du masque sur le visage. «Les masques chirurgicaux ou en tissu ne sont en général pas parfaitement ajustés au visage et permettent donc toujours un passage de l’air autour du masque, explique Walter Zingg, médecin adjoint dans le service de prévention et contrôle des infections aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). La situation est quelque peu différente avec les masques FFP2 ultra-filtrants qui ferment parfaitement le contour du visage. Certaines études ont en effet pu démontrer une légère baisse de la saturation en oxygène dans le sang, mais pas à des niveaux délétères.»
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«On peut également se montrer un peu plus prudent quant aux masques en tissu de fabrication maison réalisés avec des textiles très filtrants, ajoute Bruno Grandbastien, médecin adjoint au service de médecine préventive hospitalière du CHUV, à Lausanne. Selon le nombre de couches ou le tissu utilisé, il pourrait éventuellement y avoir un défaut de respirabilité. Il faut néanmoins savoir que des démarches ont été réalisées en France et en Suisse afin de proposer des spécifications sur ce que devait être un bon masque en tissu, qui permette une filtration efficace tout en étant respirant.»
Des certificats de complaisance?
Dès lors, qu’en est-il des conditions médicales qui pourraient légitimement lever l’obligation de porter un masque? L’Office fédéral de la santé publique, de son côté, en pointe plusieurs: les blessures au visage, les grandes difficultés respiratoires, les angoisses en cas de port d’un masque ou les handicaps divers empêchant d’en porter un.
«En ce qui concerne les blessures, il faudrait qu’elles soient suffisamment importantes pour empêcher «physiquement» le port du masque ou qu’elles soient susceptibles d’être aggravées par ce dernier, y compris du point de vue des douleurs», précise Thierry Fumeaux, président de la Société suisse de médecine intensive et du groupe d’experts en soins cliniques de la task force Covid-19.
Beaucoup des certificats de complaisance réalisés par des médecins ne reposent sur aucune réalité médicale
Bruno Grandbastien, médecin adjoint au service de médecine préventive hospitalière du CHUV
«Quant aux personnes présentant des difficultés respiratoires, il faut bien se rendre compte que ce sont justement les sujets les plus fragiles et que le masque les protège eux en priorité. Il est donc impératif qu’ils en portent un lorsque la distanciation n’est pas possible, appuie ce dernier. Si le masque n’est pas toléré, ce qui est très peu probable, il faut alors éviter tous les contacts à risque et respecter strictement les autres mesures, comme la distanciation physique et l’hygiène des mains.»
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Contrairement à une idée répandue, le port du masque n’aggrave pas non plus l’asthme. «Les asthmatiques n’ont pas de peine à inspirer l’air mais à l’expirer en raison du rétrécissement des bronches, précise Philippe Eggimann de la SVM. Le fait d’avoir un masque devant la bouche n’aura donc pas d’impact sur l’asthme.»
Bien réelle pour certaines personnes, l’angoisse de porter un masque peut, elle, être reconnue comme un facteur d’exemption, dans certaines conditions. «Il faut que l’angoisse revête un caractère vraiment pathologique et qu’il y ait un risque de décompensation psychologique pour que cela puisse représenter une contre-indication, précise Bruno Grandbastien, médecin au CHUV. En réalité, beaucoup de ces certificats de complaisance réalisés par des médecins ne reposent sur aucune réalité médicale.»
* Nom connu de la rédaction