«Mle maudit»? On l'a vu l'autre jour à la télévision. «Moi, j'ai beaucoup aimé», disait Bardot dans «Le mépris». Les téléspectateurs qui, contrairement à Brigitte, n'auraient pas encore vu ce classique du thriller disposent ce soir d'une séance de rattrapage. Ils pourront découvrir une œuvre stupéfiante, réalisée il y a 70 ans et qui reste pourtant beaucoup plus moderne que la plupart des films contemporains.

A l'époque, le cinéma était encore largement muet. Cette histoire de tueur psychopathe aurait dû être tournée sans micro, mais Fritz Lang décida d'en faire son premier film parlant. Un choix déterminant: c'est l'usage du son qui crée le suspense étouffant de «M le maudit» et qui lui donne son caractère éternellement moderne.

Toute l'intrigue repose sur le petit sifflotement émis par le serial killer. On l'entend dès le début du film, lorsqu'il s'approche de sa huitième victime, une fillette qui joue au ballon devant un avis de recherche. Le tueur reste hors champ, mais son ombre envahit l'affiche qui décrit ses méfaits. «Comme tu as un joli ballon. Comment t'appelles-tu?» La fillette, insouciante, suit l'inconnu et sera tuée peu après. Ce huitième crime serait resté impuni si un aveugle n'avait pas assisté à la scène et entendu le fameux air de «Peer Gynt» sifflé par le tueur. Un peu plus tard, l'aveugle entend la même mélodie, reconnaît le meurtrier et trace discrètement la lettre «M» sur son manteau.

Trahi par son sifflotement, marqué à la craie, l'homme aurait pu être arrêté par la police, mais c'est la pègre qui le capture en premier: le syndicat du crime veut juger, à sa manière, ce gêneur qui a déclenché des descentes policières dans les quartiers mal famés. Les truands organisent son procès dans une usine désaffectée. Pour sa défense, l'homme invoque sa maladie mentale (sa «malédiction») en expliquant qu'il ne peut s'empêcher de tuer, contrairement aux criminels qui disposent, eux, de leur libre arbitre. Mais le tribunal populaire décide de le condamner à mort.

Tout au long du film, le réalisateur insiste sur le parallélisme entre la police et la pègre dans cette Allemagne en proie à la montée du nazisme. Pour cela, il utilise le montage sonore avec beaucoup d'ingéniosité. Il montre ainsi une réunion de truands où l'un d'eux dit «Je vous demande....», avant de passer au plan suivant où c'est le préfet qui, lors d'une conférence de police, termine la phrase: «... de donner votre avis, Messieurs».

Cette maîtrise du montage donne au film une profondeur rarement atteinte au cinéma. A chaque nouvelle vision, on y découvre d'autres astuces, d'autres effets de mise en scène toujours significatifs. On sait que Fritz Lang contrôlait ses films à tous les stades de la production: il choisissait ses sujets, participait au scénario, travaillait les décors, mettait la main au montage... Il lui arrivait même de peindre sur la pellicule pour ajouter ou supprimer un détail.

Avec «M le maudit», le cinéaste donnait sa chance à un acteur inconnu, Peter Lorre, qui prête sa voix fluette et enfantine au tueur. Il faut l'entendre clamer sa «malédiction» pour comprendre le message: les pires criminels sont aussi humains.

Décidément, «M le maudit» n'aurait pas pu être un film muet.