Tout devrait changer avec une nouvelle approche qui consiste à mettre au point des puces neuro-morphiques imitant le comportement des neurones et des synapses (les jonctions entre neurones). Car ces dispositifs physiques seront capables d’effectuer eux-mêmes des tâches comme la reconnaissance visuelle, qui requièrent aujourd’hui des supercalculateurs. Une équipe française composée de chercheurs du CNRS et de l’industriel de l’électronique Thalès a suivi cette voie. Et aujourd’hui, Vincent Garcia et ses collègues annoncent la mise au point d’une synapse électronique, dont on comprend pour la première fois le fonctionnement, ce qui permet de prévoir son efficacité.
Plasticité synaptique
Cette synapse repose sur un dispositif, le memristor, capable d’apprentissage à la manière d’une synapse biologique. Dans notre cerveau, les synapses qui sont très nombreuses – environ 10 000 par neurone – sont modifiées en permanence en fonction des signaux électriques qu’elles reçoivent, ou pas, des neurones. Et c’est grâce à cette plasticité synaptique que notre cerveau apprend. Mais imiter une synapse biologique n’a rien d’évident car, comme l’explique Mihai Petrovici de l’équipe de Walter Senn à l’université de Berne: «Les mécanismes qui sous-tendent la plasticité synaptique ne sont que partiellement compris. Plusieurs modèles théoriques ont donc été élaborés à partir de l’observation des données biologiques.»
On a avancé pas à pas sans comprendre pleinement le fonctionnement de ces dispositifs en matière d’apprentissage
Les travaux de l’équipe française reposent sur l’un des ces modèles. Il stipule que lorsque l’impulsion du neurone post-synaptique se produit juste après l’impulsion pré-synaptique, cela crée un lien de cause à effet qui augmente l’activité de la synapse. Autrement dit, la transmission d’énergie ou de messages chimiques entre le neurone pré-synaptique et le neurone post-synaptique augmente, ce qui favorise la mémorisation. Au contraire, si l'impulsion post-synaptique se produit avant la pré-synaptique, il n'y a pas de causalité et l’activité de la synapse diminue.
De même, un memristor est capable d’ajuster sa résistance en fonction des impulsions électriques qu’il reçoit. Si la résistance électrique est faible, la liaison synaptique sera forte – les biologistes parlent de synapse excitatrice – ce qui permettra la mémorisation. Et à l’inverse si la résistance est faible, on aura l’équivalent d’une synapse inhibitrice, avec peu ou pas de mémorisation. En outre, la très petite taille des memristors, de l’ordre de la centaine de nanomètres, permet d’envisager d’en intégrer beaucoup sur une puce. «De nombreux laboratoires ont mis au point des synapses électroniques, notamment ceux d’IBM à Almaden, mais souvent ils utilisent des circuits intégrés conventionnels, donc un assemblage de transistors pour reproduire une synapse. Alors qu’un seul memristor suffit. Et il consomme peu d’énergie à cause de sa petite taille» commente Mihai Petrovici.
Prévoir le comportement de la synapse électronique
Mais ce n’est pas tout. Les premiers memristors à base d’oxyde de titane ont été mis au point par Hewlett-Packard en 2009. Depuis, on a avancé pas à pas sans comprendre pleinement le fonctionnement de ces dispositifs en matière d’apprentissage. Or une étape supplémentaire est franchie aujourd’hui avec le dispositif proposé par l’équipe française, qui est composé d’une fine couche ferro-électrique prise en sandwich entre deux électrodes: les chercheurs ont réussi à élaborer un modèle physique permettant de prédire le fonctionnement de leur synapse et son taux de réussite dans un apprentissage donné. «Nous avons montré que l’on peut prévoir le comportement de la résistance du memristor en fonction des impulsions électriques qu’il reçoit», explique Vincent Garcia.
Cette compréhension du processus devrait permettre de créer des systèmes intelligents plus complexes, par exemple des réseaux de neurones artificiels interconnectés par des memristors sur une puce. Ce qui ouvre la voie à la création de systèmes intelligents moins dépensiers en temps et en énergie que les supercalculateurs nécessaires aujourd’hui pour faire tourner les algorithmes de l’intelligence artificielle. Depuis le début de l’année, l’équipe française étudie ainsi une première application dans le cadre du projet européen de caméra basse consommation ULPEC H2020. Il s’agit de confier à un réseau de memristors ferroélectriques la reconnaissance de mouvements détectés par une caméra à évènements embarquée sur une automobile. Un dispositif léger qui devrait permettre à l’avenir aux futurs véhicules autonomes d’éviter un accident.