Publicité

Mesurer les forces physiques en action dans les cellules vivantes est désormais possible

Des chercheurs lémaniques ont mis au point des sondes conçues pour mesurer en direct les forces physiques à l’oeuvre. Une première mondiale et un tournant pour les sciences de la vie

Structure moléculaire de l’outil chimique développé par les chercheurs de l'UNIGE et du PRN chimie biologique: en bleu, les régions pauvres en électrons, en rouge celles riches en électrons (légende fournie par l'Université de Genève) — ©  UNIGE/Stefan Matile
Structure moléculaire de l’outil chimique développé par les chercheurs de l'UNIGE et du PRN chimie biologique: en bleu, les régions pauvres en électrons, en rouge celles riches en électrons (légende fournie par l'Université de Genève) — © UNIGE/Stefan Matile

Révéler les forces physiques qui agissent dans les cellules vivantes demeure un des principaux défis de la biologie. Bien qu'elles jouent un rôle décisif dans de nombreux processus biologiques, aucun outil chimique permettant de les visualiser en action n’existait à ce jour, rappelle mardi l'Université de Genève (UNIGE) dans un communiqué. Des chercheurs lémaniques ont mis au point des sondes conçues pour mesurer en direct les forces physiques à l’œuvre à l’intérieur des cellules vivantes.

Cette détection est justement l’un des objectifs centraux du Pôle de recherche national (PRN) «Biologie chimique – Visualiser et contrôler des processus biologiques à l’aide de la chimie», lancé en 2010 et hébergé à l'UNIGE et à l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL).

Le changement de couleur des crabes ou des homards comme inspiration

«Notre approche pour la création de sondes de tension a été inspirée par le changement de couleur des crevettes, crabes ou homards pendant la cuisson», explique Stefan Matile, professeur au Département de chimie organique de l’UNIGE, cité dans le communiqué. Chez les crevettes vivantes, par exemple, les forces physiques exercées par les protéines environnantes aplatissent et polarisent le pigment caroténoïde, appelé astaxanthine, jusqu’à ce qu’il devienne bleu.

«Pendant la cuisson, ces protéines se déplient, permettant ainsi au pigment de reprendre sa couleur naturelle orange foncé», continue le chimiste genevois. Le développement de sondes fluorescentes fonctionnant sur le même principe a nécessité pas moins de huit années de travail.

L’année dernière, les équipes du PRN avaient finalement réalisé la première sonde fluorescente capable d’imager les forces agissant sur la membrane externe des cellules vivantes, appelée membrane plasmique.

Des informations génétiques hors de portée

Les demandes d’échantillons provenant de plus de 50 laboratoires du monde entier en réponse immédiate à la divulgation de ces résultats témoignent de l’importance de cette percée. Pour répondre à cette demande, les sondes de force de l’UNIGE ont été commercialisées à la fin de l’année dernière.

L’étude des forces qui s’appliquent à l’extérieur des cellules ne se limite pas aux outils chimiques de l’imagerie par fluorescence. Les surfaces cellulaires sont accessibles à d’autres outils physiques tels que les micropipettes, les pinces optiques, les lames ressorts de microscopes à force atomique, notamment.

«Mais ces outils physiques ne sont évidemment pas utilisables pour l’étude des forces s’exerçant à l’intérieur des cellules», relève Aurélien Roux, professeur au Département de biochimie de l’UNIGE. «Les organites tels que les mitochondries, responsables de la production d’énergie, le réticulum endoplasmique, responsable de la synthèse des protéines, les endosomes, responsables du trafic de matériel vers et dans les cellules ou encore le noyau, qui stocke les informations génétiques, sont tout simplement hors de portée des outils physiques venus de l’extérieur», énumère le spécialiste.

Décomposer les mécanismes de la mécanobiologie

La visualisation des forces qui pilotent et contrôlent ces organites à l’intérieur même des cellules était donc impossible, bien qu’essentielle pour comprendre leur fonction. C'est ce défi fondamental dans le domaine des sciences de la vie qui a maintenant été relevé. L’équipe du PRN, dirigée par Stefan Matile, Aurélien Roux et Suliana Manley, professeure à l’Institut de physique de l’EPFL, a réussi à développer et faire entrer dans les cellules ces sondes et à marquer sélectivement les différents organites.

Les chercheurs sont donc à présent capables de montrer, par exemple, comment la tension monte dans les mitochondries qui commencent à se diviser. «Pour la toute première fois, des forces physiques peuvent être imagées en direct à l’intérieur des cellules», s’enthousiasme Aurélien Roux.

Ce nouvel outil chimique permet enfin aux scientifiques de réaliser ce qu’ils voulaient faire depuis très longtemps, soit décomposer les mécanismes de la mécanobiologie. Ces travaux sont publiés dans le Journal of the American Chemical Society.