«Tout indique que les enfants ne transmettent pas la maladie.» Les propos tenus il y a un an par Daniel Koch ont mal vieilli. A la mi-avril, celui qui était le responsable de la division des maladies infectieuses à l’Office fédéral de santé publique avait choqué une bonne partie de la communauté scientifique suisse. Des chercheurs de la task force covid-19 et d’autres entités s’étaient empressés de nuancer cette sortie, voire de la balayer. Ce dérapage illustre le point de départ d’une des plus sempiternelles questions que pose le SARS-CoV-2: les enfants sont-ils oui ou non un moteur de l’épidémie?

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Une nouvelle étude parue dans la revue Science le 29 avril confirme le consensus qui se dessinait depuis un an: oui, les écoles constituent bien des lieux de transmission virale, ce qui constitue une porte d’entrée pour des infections à la maison; et oui, il est tout à fait possible de freiner voire d’arrêter ces propagations à l’aide de mesures concrètes. Les résultats ne sont pas signés de n’importe qui: c’est une équipe multidisciplinaire de scientifiques principalement issus de l’Université Johns-Hopkins à Baltimore qui en est à l’origine, une institution dont les travaux sont lus et respectés depuis le début de l’épidémie.

Une étude hébergée sur Facebook

L’article, cosigné par des épidémiologistes, des infectiologues, des spécialistes de santé publique et de politique de santé et des biostatisticiens, consiste en l’analyse des réponses à une vaste étude épidémiologique, Covid-19 Symptom Survey, organisée par des universités et Facebook, aux Etats-Unis. Les chiffres sont éloquents: plus de 2 millions de personnes y ont participé dans chacun des 50 Etats américains, générant une moyenne hebdomadaire de 500 000 réponses récoltées en deux phases comprises entre novembre 2020 et février 2021, donc en dehors de tout effet notable de la vaccination.

Les questions portaient sur la situation domestique (nombre de personnes vivant sous le même toit, etc.), les pratiques scolaires (présence ou non, instauration de mesures, etc.), le port du masque à l’école et à la maison, les symptômes associés au Covid-19, le résultat des tests de dépistage, la localisation géographique approximative, etc.

Sur l’ensemble des participants, 600 000 ont répondu avoir un enfant scolarisé de la grande section de maternelle («pre-K», soit à partir de 4 à 5 ans) jusqu’au lycée. Un peu moins de la moitié (49%) ont dit que leur progéniture suivait les cours sur place, en présentiel.

38% de risque supplémentaire

Les scientifiques ont examiné si les réponses différaient significativement selon que les enfants allaient à l’école ou non. Ils ont calculé que les parents dont les enfants se rendaient à l’école ont signalé des symptômes de type Covid-19 (fièvre, toux, troubles respiratoires…) 38% plus fréquemment que les parents dont les enfants suivaient exclusivement des cours à distance. Pour les anosmies (perte du goût et de l’odorat), le chiffre est de +21%, et de +30% pour la probabilité d’avoir eu un résultat de test positif dans les 14 jours précédents.

Dans les foyers dont les enfants ne suivent que partiellement les cours à distance, des associations moins nettes, mais toujours significatives, ont été observées. A noter que les effets observés sur le risque d’infection sont d’autant plus nets dans les tranches d’âge supérieures, ce qui confirme ce que de nombreuses études suggèrent depuis un an: les enfants les plus jeunes semblent effectivement moins touchés et moins gravement malades que les adolescents. Pris dans leur ensemble, ces résultats montrent donc que fréquenter les écoles est significativement associé à un risque accru de transmission à la maison.

Pas une fatalité

Mais ce qui se révèle encore plus intéressant est que la transmission virale à l’école n’est pas une fatalité: les mesures sanitaires instaurées dans les écoles peuvent «gommer» cet accroissement du risque. Les chercheurs ont relevé 14 types de mesures différentes et constaté que chacune réduit individuellement les risques précédemment calculés, de 9% en moyenne pour les symptômes de type covid et de 7% pour les tests positifs. Horaires de cours décalés, vitrines en plexiglas, leçons données hors les murs… tout ce qui a pu être tenté a été passé au crible. Les mesures les plus efficaces seraient le port du masque chez les enseignants ainsi que les dépistages quotidiens généralisés, comme le Royaume-Uni en a pris l’habitude. Leur effet est par ailleurs cumulatif: à partir de sept mesures simultanées, la relation précitée n’est plus observée.

«Le risque [d’infection] peut probablement être contrôlé avec une implémentation correcte de mesures de mitigation en milieu scolaire», écrit l’auteur principal Justin Lessler, épidémiologiste à l’Université Johns-Hopkins.

Petits arrangements avec la véracité scientifique

Le sujet de la gestion des écoles a été révélateur des difficultés des politiques à gérer l’incertitude. Chaque pays, chaque région y est allée de sa propre interprétation – au risque de servir d’abord ses propres intérêts politiques quitte à s’arranger généreusement avec la véracité scientifique. En Suisse, outre Daniel Koch, la ministre vaudoise de la Formation Cesla Amarelle affirmait par exemple en novembre que «l’école n’est pas un lieu de contagion», alors même qu’aucun consensus scientifique ne lui permettait d’appuyer ses propos.

Ces nouveaux résultats méritent tout de même d’être confirmés par d’autres études. Ces travaux n’établissent pas de lien de causalité directe et conservent quelques faiblesses méthodologiques, notamment parce qu’il ne s’agit que de questionnaires et non d’évaluations strictes et indépendantes. «Ce n’est pas la méthodologie la plus stricte, mais c’est sans doute l’étude la plus complète à ce jour, commente Julien Riou, épidémiologiste à l’Université de Berne. Avant cet article, la transmission en milieu scolaire était incertaine, elle l’est beaucoup moins à présent.»