Comment? Oui, comment s'y prendre pour éviter l'arbitraire ou le nationalisme, tant la solution parfaite devait valoir «pour tous les peuples et pour tous les temps»? Les astronomes et mathématiciens se mettent au travail, Talleyrand et Condorcet interviennent, Jefferson assiste aux débats. Le pendule, qui a bouleversé la mesure du temps, est envisagé. Il suffit de choisir la longueur d'une tige dont les oscillations s'effectuent en une seconde. On aurait une grandeur universelle tirée de la nature et non de l'homme. Hélas, l'oscillation est variable: elle dépend de la latitude. Il fallait trouver autre chose, une unité de longueur invariable qui ne dépende d'aucune autre quantité, une référence ultime plus claire, plus imposante, comme un argument dont le poids ne souffrirait aucune contestation. La Terre! Mais comment définir l'unité linéaire? Pas à partir du rayon: il faudrait mesurer la distance entre la surface et le centre du globe… Ni l'équateur, pour cause de montagnes infranchissables et de forêts impénétrables… Ce sera donc une ligne terrestre plus aimable: le méridien. La définition de l'unité par laquelle se fera l'uniformisation des poids et mesures tombe enfin: la dix-millionième partie du quart de méridien terrestre.
Le mètre est né. Il se déploie vite selon une échelle unique, décimale, pour définir longueur, surface, volume et masse, cette dernière étant déterminée grâce à un état de la matière homogène, naturel, commun, pur (ou aisément purifiable), d'une densité pas trop considérable, bref: de l'eau. Si bien qu'on obtient sans tarder la définition du kilogramme, quelque chose comme le poids d'un décimètre cube d'eau distillée dans son état de plus grande densité.
Unicité de la mesure originelle, unicité de l'échelle, un système enfin complet et cohérent, restait à remesurer, cette fois avec précision, un méridien terrestre. Les savants partent à la recherche de l'arc idéal, en Europe pour des raisons pratiques, mais pas dans une zone montagneuse (la Suisse, l'Allemagne, l'Autriche et l'Italie sont ainsi exclues), si possible entre deux niveaux de la mer, si bien que le méridien de Paris, la Méridienne, sera mesuré entre Dunkerque et Barcelone.
La mesure durera 7 années, avec son lot d'héroïsme au quotidien. Les deux astronomes responsables, Delambre et Méchain, affronteront des éléments déchaînés, la faim et le découragement, la colère des villageois qui les prennent pour des charlatans, des sorciers ou des aristocrates contre-révolutionnaires. Les deux savants tiendront bon. En 1795, une loi institue le système métrique décimal. Quatre ans plus tard, un mètre et un kilogramme étalons sont déposés aux Archives de France. Il faudra attendre 1840 pour que le système métrique soit obligatoire en France et 1875 pour qu'il s'impose vraiment sur le plan international, à l'exception notable des pays anglo-saxons, dont certains -125 ans plus tard – rechignent toujours à adopter le maître métrologique. Lequel est aujourd'hui mesuré grâce à la lumière de lasers ultra-précis. Mais la nouvelle définition ne change rien au fond de l'affaire: le mètre est bien le premier révolution-naire à avoir accompli une mondialisation.
«Le mètre du monde»,
Denis Guedj, Seuil.