Des chercheurs américains l’ont annoncé il y a peu: la banquise arctique a atteint un nouveau record de fonte; elle ne s’étend plus que sur 4,10 millions de km2. Tous voient là un signe des effets du réchauffement climatique. Treize des quinze dernières années ont été les plus chaudes jamais relevées sur notre planète. Beaucoup plus proche de chez nous, le massif du Mont-Blanc n’échappe pas, lui aussi, aux vagues successives de chaleur.
Mi-août, il faisait 12° C au sommet de l’Aiguille-du-Goûter à 3800 m. Ingénieur au laboratoire de glaciologie de Grenoble, Christian Vincent vient d’effectuer une mesure de la température interne de la glace à cette altitude. Il a observé une augmentation de 1,5° C par rapport à 1994. «Nous avons foré jusqu’à 50 m et noté que la température moyenne, approchant normalement –10° C, s’est élevée.»
Peut-on évoquer un risque de fonte du Toit de l’Europe occidentale comme on parle de réduction de la surface de la banquise? Non, rassurent, unanimes, les scientifiques et autres experts géomètres. Le Mont-Blanc aurait d’ailleurs plutôt tendance à pousser. Entre 2003 et 2009, il a gagné 2 mètres en passant de 4808,40 à 4810,45 m. Obtenu à l’aide d’un GPS garantissant une précision centimétrique, ce dernier résultat a été validé par l’Institut géographique national. «De manière générale, la hauteur mais aussi le volume ont tendance à augmenter en raison de l’accumulation de neige par le vent, précise Christian Vincent. Mais si les glaciers d’altitude – à plus de 4000 m – croissent, ceux de moyenne altitude, de 1800 à 3500 m, perdent de l’épaisseur. Le phénomène de retrait des glaciers est indéniable depuis trente ans, aussi dans les Alpes.»
Illustration sur le glacier de Tête-Rousse, à 3200 m, sur la voie royale d’accès au Mont-Blanc. Sous l’effet de la chaleur, une partie de sa voûte, sous laquelle avait été détectée il y a deux ans une poche d’eau qui menaçait d’inonder la vallée de Saint-Gervais, s’est effondrée dans la nuit du 14 août. Le pont de glace qui a fondu a laissé apparaître une nouvelle poche d’eau dont la superficie n’aurait aucune mesure avec celle détectée sur ce même glacier en 2010. Cette année-là, 65 000 m3 stagnant sous le glacier risquaient à tout moment de se déverser en 15 à 30 minutes sur les 900 habitations en aval. Durant deux mois, une «méga-vidange» avait eu raison de cette eau sous pression, au rythme de 150 m3 par heure.
Comment autant de liquide a-t-il pu s’accumuler? Là aussi le réchauffement climatique explique en partie le phénomène. «Le phénomène est paradoxal, dit Christian Vincent. La couverture de neige est de moins en moins épaisse. L’hiver, cette couche isolante protège moins le glacier du froid. Ce que l’on appelle la glace froide fait donc désormais barrage à l’eau qui s’infiltre.» Elle contribue à boucher une partie des voies d’écoulement naturelles, permettant à l’eau de s’accumuler pour former ces dangereuses réserves.
Le glaciologue, qui a visité la voûte la semaine passée, a détecté au moyen de la méthode de résonance magnétique la présence de 10 000 m3 d’eau mais il n’exclut pas que la poche se soit remplie une nouvelle fois complètement. La cavité sera, selon toute probabilité, de nouveau purgée en septembre.
Après ce nouvel incident, Jean-Marc Peillex, le maire de Saint-Gervais, milite pour creuser un tunnel qui permettrait d’évacuer l’eau régulièrement, à l’image d’un siphon de lavabo. Une telle solution coûterait environ 7 millions d’euros contre 2 millions pour un pompage annuel. «Depuis 2010, nous avons déboursé au total près de 5 millions, il serait plus économique d’adopter une solution pérenne.» En attendant, les élus préconisent aux alpinistes de reporter leur ascension du Mont-Blanc, périlleuse en ce moment, même si le froid du week-end a amélioré la situation.
La voie dite normale ou «royale», qui emprunte le couloir du Goûter, est déconseillée. Ils sont 20 000 à s’élancer chaque été, soit entre 300 et 400 par jour. Les récentes fortes chaleurs ont pour conséquence que les rochers ne sont plus tenus par le gel. Le risque de chutes de pierres n’a jamais été aussi élevé. «Ce sont parfois des ruisseaux de pierres qui tombent, d’une dizaine de centimètres ou de la taille d’une machine à laver», indique Jean-Marc Peillex.
Jean-Louis Verdier, adjoint au maire de Chamonix et alpiniste parmi les plus chevronnés, parle de dégradation du permafrost qui serait à l’origine de ces chutes de pierres. «Le permafrost désigne un terrain dont la température est en permanence inférieure ou égale à zéro. Il agit comme un ciment et garde intacte la glace qui se trouve dans les fractures de la roche. Ce qui n’est plus le cas lorsque les températures ne sont plus négatives», témoigne-t-il. Le guide avoue n’avoir jamais assisté à une telle fonte des masses de glace à moyenne altitude.
«Ce sont parfoisdes ruisseaux de pierres qui tombent»