Ryon, alias Yoshiho de son vrai prénom, met en ligne ses photos perso, raconte chaque jour un petit morceau de son existence et butine dans les contrées virtuelles d'un Japon indolent aux antipodes de celui de son enfance. Un père, marin pêcheur à Nagasaki, dans l'île de Kyushu, qui se tue à la tâche. Une mère qui se tait et couve son plus jeune frère. La recherche d'un bon mari pour seul horizon: «J'ai largué tout ça à 17 ans. J'avais le mal de mer dans tous les sens du terme.»
Départ à Tokyo pour retrouver sa sœur. Premier site Web bidouillé avec quelques copains. «Elle n'avait qu'une chose en tête: devenir vedette» corrige la sœur, vendeuse dans un supermarché voisin de leur appartement commun. Bingo! Au Japon, divertissement et industrie ne sont jamais éloignés. Sur le Web nippon, des chasseurs de tête payés par les agences de pub surfent à longueur de journée pour débusquer les sites marrants et en faire des objets de promo sponsorisés par les fournisseurs d'accès et les principaux moteurs de recherche, comme Yahoo Japan.
Du pur marketing, dopé par le succès de l'Imode, l'Internet sur les téléphones portables, qui compte 25 millions d'abonnés. Pour attirer le chaland, les opérateurs inondent les abonnés de messages leur proposant de découvrir telle nouvelle star ou tel nouveau site. Or Ryon a deux atouts: elle est plutôt jolie et adore les chevaux, passion populaire s'il en est. Une candidate parfaite pour l'agence Watanabe, qui tombe, en 1999, sur sa home page encore rudimentaire: «Ils m'ont dit que ma passion pour les chevaux les intéressait, à condition que j'en dise plus, que je tienne mon journal intime et que je rajoute quelques photos olé olé.»
Bref, il faut en rajouter un peu. Se créer une personnalité glamour et sexy. La jeune provinciale de Kyushu adopte une identité d'emprunt, apprend à consigner sur le Net ses sorties, gonfle ses seins pour les photographes «en serrant bien fort le buste entre les bras» et traîne sur les champs de courses pour faire plus vrai. Son site, dûment amélioré, est aussitôt répertorié: «Sa passion hippique est sa marque de fabrique», ajoute le journaliste de l'Asahi. Chaque «Internet Idol» a sa marotte. Pour avoir l'air crédible, tout ça doit reposer sur un fonds de vérité.»
Le statut d'Internet Idol est le moyen d'échapper à ce métro-boulot-dodo que tant de jeunes Japonais fuient. Les plus connues décrochent des contrats personnels et sont invitées dans les festivals du Web organisés partout dans l'archipel. Beaucoup sont des vedettes parmi les lycéennes. Ryon bosse quatre heures par jour pour payer son loyer dans un centre d'appel d'une grande compagnie d'assurances et utilise ses maigres royalties de vedette pour payer son inscription dans une école de scénariste réputée. Sa famille la croit juste intérimaire.
Ryon Sakurai pousse aussi le bouchon jusqu'à rencontrer ses fans. Pas mal d'ados, et beaucoup de «Salaryman», célibataires ou bons pères de famille, attirés par son journal intime et, plus rarement, par ses tuyaux hippiques. «Je les retrouve en général au champ de courses de Nakayama ou de Fuchu, près de Tokyo. Ou dans un bar de Shibuya (l'un des quartiers branchés de Tokyo). Certains ont 30, 40 ans. Beaucoup se connectent depuis leurs bureaux. On parle. Ils me font des cadeaux. Je dédicace mes photos.» Une audace assez banale dans le pays le plus sûr du monde où les agressions restent somme toute peu nombreuses. Mais une audace très ambiguë lorsque l'on sait que quantité d'adolescentes japonaises flirtent avec l'industrie du sexe pour arrondir leurs fins de mois. L'intéressée, elle, dément, promet que l'érotisme reste en deux dimensions. Patron de l'agence «Going», une autre officine spécialisée dans la promotion des Internet Idol, Tomiyuki Yanagida complète: «Ces filles ont deux publics: les adolescentes qui reconnaissent en elles de grandes sœurs dévergondées et des types qui trouvent en elles des compagnes virtuelles et leur racontent tout ce qu'ils n'oseront jamais dire à leurs proches.» Point commun entre les deux? C'est le Japon du fantasme par excellence…