Origine du Covid-19: de nouveaux indices pointent vers la piste animale
Lu Ailleurs
AbonnéL’analyse de nouvelles données ADN dans des échantillons prélevés au marché de Wuhan soutient la piste du passage à l’humain du virus SARS-CoV-2 via des animaux. Ceci ne constitue pas encore une preuve définitive selon les experts

Voilà un énième épisode dans la saga de la recherche des origines du Covid-19. Depuis trois ans, les esprits s’échauffent entre la théorie d’une contamination à partir d’animaux et celle d’une fuite depuis un laboratoire. Après l’annonce de l’OMS le 23 février dernier, qui indiquait renoncer à sa seconde phase de recherche faute d’accès aux données en Chine, et le communiqué le 1er mars du directeur du FBI estimant «très probable» un accident de laboratoire, une série de rebondissements continue de nourrir le débat depuis une semaine.
Dernier en date, le passage éclair, sur le site web Gisaid, de partages de séquences génétiques, des ADN provenant du marché de Wuhan et publiés par des experts chinois. Avant que ces séquences ne soient mystérieusement retirées, une équipe internationale de virologues, de généticiens et de biologistes s’en sont saisies et les ont analysées. Les résultats de leur travail ont été publiés le 20 mars sur le serveur Zenodo d’articles en preprint et n’ont donc pas été relus par les pairs. Les échantillons d’ADN environnemental ont été prélevés en janvier 2020 sur le marché de fruits de mer de Huanan à Wuhan, avant son nettoyage, comme l’a rapporté en premier le média The Atlantic le 16 mars.
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L’analyse a révélé la présence d’ADN appartenant à des mammifères, dont le chien viverrin, un petit carnivore ressemblant à un raton laveur, vendus illégalement sur le marché de Wuhan, dans des échantillons par ailleurs aussi testés positifs au SARS-CoV-2, le virus responsable du Covid-19. Ces animaux pourraient être des hôtes intermédiaires du pathogène, dont une version ancestrale a été retrouvée chez des chauves-souris.
«Bien sûr, il ne s’agit pas d’une preuve directe», a déclaré Leo Poon, virologue à l’Université de Hong-Kong dans le magazine Nature, «mais c’est le mieux que nous puissions obtenir pour l’instant, car tous les animaux ont été éliminés du marché et nous ne disposons pas d’échantillons d’animaux».
Cinq espèces de mammifères
Les données ADN ont été repérées sur Gisaid, par hasard, le 4 mars par la chercheuse française Florence Débarre, biologiste à l’Institut d’écologie et des sciences de l’environnement du CNRS à Paris, qui est aussi coautrice de l’étude internationale. «En fait, ce sont ceux que nous attendions depuis un an», a-t-elle confié à la journaliste de la revue Nature. Les prélèvements ont été mentionnés pour la première fois dans un article en preprint posté en février 2022 sur le site Research Square, et écrit par George Gao, ancien directeur du Centre de contrôle et de prévention des maladies (CDC) en Chine, et ses collègues. Les données n’avaient pas été rendues publiques à l’époque.
Selon la revue Nature, Florence Débarre et ses collègues ont téléchargé environ 500 gigabits de données génomiques obtenues à partir de 50 échantillons. Les données incluaient la quasi-totalité des prélèvements réalisés dans les égouts, les étals du marché et sur le sol entre janvier et février 2020, tous testés positifs pour le SARS-CoV-2. Ils ont identifié des séquences d’ADN mitochondrial presque complètes – quelque 16 000 paires de bases – pour cinq espèces sauvages, dont le chien viverrin (Nyctereutes procyonoides), le porc-épic malais (Hystrix brachyura), le hérisson de l’Amour (Erinaceus amurensis), la civette palmiste masquée (Paguma larvata) et le rat des bambous (Rhizomys pruinosus).
«Nous parlons de millions et de millions de lectures de séquençage, a indiqué un des auteurs de l’étude, Alex Crits-Christoph, qui est biologiste informatique dans une organisation à but non lucratif, et basé à Baltimore aux Etats-Unis. C’est incroyable d’avoir pu identifier une liste d’espèces.»
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La présence d’ADN mitochondrial de chien viverrin trouvé dans six échantillons provenant de deux étals est particulièrement intéressante. Comme le rappelle l’article dans Nature, des recherches ont montré que les chiens viverrins sont sensibles au SARS-CoV-2 et peuvent transmettre l’infection à d’autres chiens viverrins sans manifester de signes évidents de maladie. Des chiens viverrins et des civettes ont également été infectés par des virus presque identiques à celui qui cause le syndrome respiratoire aigu sévère (SARS), qui est apparenté au SARS-CoV-2 et qui a provoqué une épidémie chez l’homme en 2003. Les travaux menés sur les cellules de civettes indiquent que ces créatures pourraient être infectées par le SARS-CoV-2.
Apparition et disparition des données
Mais à peine les scientifiques avaient téléchargé les données génétiques de Gisaid que celles-ci n’étaient plus accessibles publiquement. Un porte-parole de Gisaid aurait indiqué à Nature par courrier électronique que le site ne supprimait pas les données enregistrées, mais que lors de mises à jour par les contributeurs, ces dernières pouvaient être «temporairement invisibles» et que dans ce cas, elles étaient «actuellement mises à jour avec des données plus récentes et supplémentaires dans le cadre d’un manuscrit en cours d’examen». Le manuscrit de l’article de George Gao apparaît en effet en cours de relecture sur le site de Nature Portfolio.
L’équipe internationale a affirmé à Nature avoir contacté George Gao et ses collègues pour collaborer à l’analyse, mais le CDC chinois aurait refusé. Le 14 mars, les chercheurs, dont des membres invités du CDC chinois, ont présenté leurs travaux à l’OMS lors d’une réunion du groupe consultatif scientifique sur les origines des nouveaux agents pathogènes (SAGO), l’organisme chargé d’enquêter sur les épidémies, notamment sur les origines du SARS-CoV-2.
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«Des photographies historiques ont été fournies, qui montrent que des chiens viverrins et d’autres animaux ont été vendus à ces étals dans le passé. Bien que cela ne fournisse pas de preuves concluantes quant à l’hôte intermédiaire ou aux origines du virus, les données fournissent des preuves supplémentaires de la présence d’animaux sensibles sur le marché qui pourraient avoir été une source d’infections humaines», affirmait le SAGO suite à ces présentations dans un communiqué publié le 18 mars. L’organisme encourage par ailleurs à la mise à disposition immédiate de toutes les données relatives à l’étude des origines du SARS-CoV-2 pour un examen approfondi et complet.
Lors de la conférence de presse de l’OMS du 17 mars, le directeur Tedros Adhanom Ghebreyesus avait appelé les chercheurs du CDC chinois à faire preuve de transparence dans le partage des données. «Ces données auraient pu et dû être partagées il y a trois ans», avait-il déclaré.
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