Oui, le plomb tombe aussi vite que la plume
Physique
Il existe bien une universalité de la chute libre, confirmée par les premiers résultats du satellite Microscope. Ceux-ci confirment la validité du principe d’équivalence, pilier de la théorie de la relativité générale

Galilée l’avait rêvé, 500 ans plus tard, Microscope l’a fait. Ce sigle désigne une mission de l’Agence spatiale européenne, du Centre national français d’études spatiales (CNES), de son homologue allemand (DLR), du CNRS et de l’Office national d’études et de recherches aérospatiales (Onera). Le satellite de 300 kilogrammes a été lancé le 25 avril 2016 et tourne depuis autour de la Terre à plus de 700 kilomètres d’altitude.
Mais quel rapport avec Galilée? Le célèbre savant italien avait imaginé une expérience pour savoir si deux corps de nature différente tombent du haut d’une tour à la même vitesse. La réponse est oui: le plomb tombe aussi vite que la plume, sous réserve d’être dans le vide ou de négliger les frottements. En cinq siècles, ce constat a déjà été vérifié moult fois. Albert Einstein en a même tiré l’idée de sa théorie de la relativité générale, en réalisant que la masse pesante (sensible à la gravité) et la masse inerte (sensible à des changements de mouvement) sont équivalentes: dans un ascenseur spatial «imaginaire», on ne sait pas si les objets tombent à l’intérieur du fait de la gravitation ou parce qu’on «tire» la cage.
Un satellite qui «tombe» en permanence sur la Terre
C’est ce principe que Microscope voulait mettre à l’épreuve en étant cent fois plus précis que les meilleures mesures sur Terre. Son nom signifie d’ailleurs micro-satellite à traînée compensée pour l’observation du principe d’équivalence.
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Dans les Physical Review Letters du 4 décembre, ses chercheurs exposent leur premier résultat, après avoir commencé les expériences un an auparavant. Verdict, l’écart de chute libre vaut zéro à quatorze chiffres derrière la virgule près. Soit dix fois mieux que la précédente mesure réalisée à l’aide d’une balance de torsion à l’Université de Washington en 2012. Galilée et Einstein ont donc (encore) raison.
MICROSCOPE satellite test of general relativity: No deviations from the equivalence principle at the 10⁻¹⁴ level https://t.co/fE9OSXV6Se @onera_fr @ObsCoteAzur pic.twitter.com/D4u1NmZ0cb
— Physical Review Lett (@PhysRevLett) 4 décembre 2017
En fait, dans Microscope, les masses, l’une de 400 g composée à 90% de platine, l’autre de 300 g faite à 90% de titane, ne tombent pas comme depuis une tour toscane sur le sol. Comme le satellite est en orbite, il «tombe» en permanence sur la Terre et le système mesure les accélérations sur les deux masses, qui se révèlent donc identiques.
La prouesse est ce que les physiciens appellent un résultat négatif, c’est-à-dire que l’expérience confirme la théorie. Mais encore fallait-il le prouver. Le contraire eût été étonnant, voire bouleversant, car il aurait signifié que des phénomènes physiques encore inconnus sont à l’œuvre pour violer le sacro-saint principe. «Cette précision est utile pour mieux contraindre certaines théories. Ce qui m’intéresse surtout c’est la possibilité, a priori tout à fait réelle, qu’il y ait une violation du principe d’équivalence à un certain niveau», indique Thibault Damour, professeur à l’Institut des hautes études scientifiques et coauteur de l’article. Sur le papier, des propositions invalidant ce principe ne manquent pas.
Mystérieuse énergie noire
Par exemple, pour réconcilier les deux grandes théories descriptives de la matière, la mécanique quantique et la relativité générale, des théories comme celle dite des cordes, conduisent à violer le principe d’équivalence.
Ou bien, pour expliquer pourquoi l’expansion de l’Univers accélère, on invoque une mystérieuse énergie noire, qui en plus ferait tomber les masses différemment. Des modèles prédisent des écarts visibles dès quatorze chiffres après la virgule, mais d’autres à partir de dix-huit chiffres.
«La mission marche exceptionnellement bien», constate Pierre-Yves Guidotti, responsable du projet Exploitation au CNES. Il cite ainsi le contrôle des variations thermiques meilleur que prévu. Ou encore les compensations de traînée pour tenir le laboratoire spatial sur sa trajectoire susceptible d’être modifiée par les chocs des photons du Soleil, ou de minuscules frottements. Seules 10% des données, portant sur 120 orbites d’un peu plus d’une heure et demie, ont été utilisées pour ce résultat, et les expériences continueront jusqu’en mars 2018. Statistiquement ces données supplémentaires (quatre fois plus qu’auparavant) permettront de multiplier la précision par deux.
Les expériences terrestres se poursuivent
Mais sur Terre, les physiciens n’ont pas non plus dit leur dernier mot. «Les expériences spatiales ne sont pas faciles à mener et nous félicitons les équipes de Microscope. Mais notre balance, en testant plus de matériaux différents, permet de maximiser les chances de trouver une violation du principe d’équivalence», salue Jens Gundlach, de l’Université de Washington, qui pense multiplier par dix la précision de sa balance de torsion. En Californie, à Stanford, le laboratoire de Mark Kasevich espère faire aussi bien que dans l’espace, en faisant tomber en chute libre des atomes très froids.
En septembre 2018, réservoirs complètement vides, Microscope déploiera des ailes afin d’augmenter le frottement sur les quelques particules du vide sidéral et de redescendre lentement vers la Terre pour se disloquer dans l’atmosphère. Encore une histoire de chute, qui durera cette fois vingt-cinq ans.