L’expérience allemande Dunkelfeld, qui vise à prévenir le passage à l’acte de pédophiles en leur proposant une assistance gratuite et anonyme, fait des envieux en France. «Il y a quelques années, j’avais pris contact avec des représentants des ministères de la justice et de la santé dans l’espoir de lancer un programme similaire, mais cela ne s’était pas fait», regrette Serge Stoléru (Unité 669, Inserm), qui envisage de monter de nouveau au créneau. La peur de créer une psychose à cause de spots télévisés et l’absence de professionnels formés pour répondre aux appels des pédophiles avaient été invoqués, mais, pour le chercheur, le blocage tenait plus à une méconnaissance de la problématique de la part des décideurs institutionnels.

Lui-même fait partie des rares scientifiques qui, en France et à l’étranger, tentent de découvrir d’éventuels corrélats biologiques de la pédophilie. L’imagerie cérébrale est depuis quelques années utilisée pour tenter de déterminer si le cerveau des pédophiles, dans son anatomie ou dans son fonctionnement, est différent – une hypothèse formulée dès la fin du XIXe siècle par Richard von Krafft-Ebing, le psychiatre viennois qui a inventé le terme «pédophilie».

Cette approche est justifiée notamment par la description de divers cas de lésions cérébrales accompagnant des comportements pédophiles. Comme celui décrit en 2003 d’un enseignant de 40 ans condamné pour pédophilie qui souffrait d’une tumeur ayant entraîné une déformation du cortex. Quand celle-ci avait été extraite, les tendances pédophiles avaient disparu, avant de réémerger lors d’une récidive cancéreuse.

Plusieurs études récentes en imagerie structurale – donnant une photographie de l’anatomie du cerveau – présentent des résultats discordants. Certaines montrent des différences dans la matière grise (les corps des neurones), mais dans des zones qui ne se recoupent pas. La taille des échantillons reste sujette à caution. Une étude conduite par l’équipe de James Cantor (université de Toronto) sur une population plus large montre bien des différences, mais cette fois dans la matière blanche (les câbles neuronaux qui relient les différentes parties du cerveau).

Imagerie et dépistage

L’imagerie fonctionnelle mesure, elle, l’activité cérébrale face à des stimuli. Chez l’homme hétérosexuel normal, la vision d’une femme nue entraîne l’activation non pas d’un centre sexuel unique, mais de nombreuses zones cérébrales. Chez le pédophile, c’est l’image d’enfants qui induit ces réponses.

Jorge Ponseti (université de Kiel, Allemagne) a ainsi pu déterminer avec presque 100% de réussite qui était pédophile et qui ne l’était pas. Mais comme Serge Stoléru, qui conduit des études proches, il admet que la fiabilité de cette mesure reste à évaluer: «Il faudrait la tester chez des patients niant leur attirance sexuelle pour les enfants. Ce sera le test crucial», indique le chercheur, qui se déclare défavorable à l’utilisation de l’imagerie fonctionnelle pour des dépistages mais favorable à son usage pour mesurer l’effet des traitements.

Concernant l’origine de la pédophilie, la piste hormonale semble infructueuse. Faut-il creuser l’hypothèse génétique? L’idée d’une origine biologique fait en tout cas l’objet d’une certaine résistance dans le monde psychanalytique – qui s’intéresse plus à l’histoire du sujet –, mais aussi judiciaire: cela ne conduit-il pas à dédouaner le pédophile de ses actes?

Question difficile, mais, pour James Cantor, il est impossible d’écarter certaines observations qui pointent vers une origine biologique, développementale, de ce comportement. L’équipe de Ray Blanchard (université de Toronto), à laquelle il est associé, a mis en évidence le fait que les pédophiles avaient en moyenne un QI inférieur à la population générale, et que plus ce QI était bas, plus jeunes étaient leurs victimes. Les pédophiles sont plus petits de 2,5 cm en moyenne, on trouve parmi eux trois fois plus de gauchers que dans la population générale et ils ont plus fréquemment subi, avant 13 ans, un traumatisme crânien suivi d’une perte de connaissance.

«C’est mon cas, et je suis aussi gaucher, mais je ne suis pas pour autant pédophile, plaisante Jorge Ponseti. Ces observations indiquent seulement que des accidents dans le développement cérébral peuvent avoir une influence sur le développement sexuel. Mais sur le fond, nous ne comprenons toujours pas l’origine de ce comportement.»