Les phéromones chez l’être humain: mythe ou réalité?
Biologie
Un chercheur britannique rappelle que les phéromones soi-disant humaines vendues dans le commerce n’ont pas de base scientifique. La première vraie phéromone humaine serait à chercher dans les sécrétions du téton de la mère

Entre preuves scientifiques et instrumentalisations commerciales, que savons-nous vraiment des phéromones humaines? Voici la question posée par le biologiste Tristram Wyatt de l’Université d’Oxford en Angleterre, spécialiste de ces molécules chez l’animal, et qui publie ce mercredi dans les Proceedings of the Royal Society B un passage en revue des dernières recherches dans le domaine. «Je voulais exprimer ma frustration, explique-t-il. Certains scientifiques continuent d’utiliser dans leurs recherches, année après année, des molécules fournies par l’industrie il y a vingt-cinq ans et que celle-ci fait passer pour des phéromones humaines. Or il n’y a aucune preuve scientifique qu’elles le soient.»
Une phéromone est un composé chimique sécrété par le corps d’un animal et capté par un individu de la même espèce. Avec pour effet d’entraîner soit un changement de comportement, soit une modification physiologique (l’augmentation de la sudation, par exemple). Des phéromones ont été identifiées à travers tout le vivant. «Chez les mammifères non humains, les substances chimiques qui ont valeur de signal peuvent intervenir dans le comportement sexuel mais aussi dans l’évitement d’individus malades, dans la réponse aux prédateurs ou encore le combat entre mâles», dit Ivan Rodriguez, du Laboratoire de neurogénétique de l’Université de Genève.
A ce jour, aucune phéromone n’a été identifiée chez l’humain. Cependant, Tristram Wyatt, comme d’autres experts, suppose que «d’un point de vue évolutif, on peut s’attendre à ce que l’être humain fabrique des phéromones comme les autres mammifères, notamment les primates.» «Chez l’adolescent, des dizaines de molécules commencent à être sécrétées par des glandes lors de la puberté, représentant autant de molécules candidates», ajoute Ivan Rodriguez.
Cela n’a pas empêché l’industrie chimique de commercialiser des molécules faussement qualifiées de phéromones humaines. Parmi elles: l’androsténone et l’androsténol. Chez les cochons, ces composés jouent bien le rôle de phéromones sexuelles. Et ces mêmes molécules sont aussi détectables dans les sécrétions des aisselles humaines. Ce qui ne veut pas encore dire qu’elles ont chez nous le même rôle: «Les phéromones sont propres à chaque espèce: il vaut mieux d’ailleurs qu’une phéromone sexuelle de cochon n’ait pas le même effet chez l’humain!» dit Ivan Rodriguez.
Deux autres composés, l’androstadienone et l’estratraenol, sont aussi fabriqués par une entreprise privée et ont été vendus dès 1991 comme des phéromones humaines «supposées». Elles ont été incluses dans des travaux de scientifiques de renom, comme la psychologue Martha McClintock de l’Université de Chicago. «C’était une erreur de la part de ces chercheurs», indique Tristram Wyatt qui insiste sur le fait qu’il n’existe aucune preuve scientifique prouvant que ces molécules sont des phéromones humaines.
Une première piste pour identifier des phéromones humaines a été proposée en 1998 déjà, toujours par Martha McClintock. Elle a observé que les cycles menstruels de femmes adultes vivant ensemble se synchronisaient, et proposé que ce phénomène était dû à la sécrétion de phéromones. Une conclusion contestée par certains chercheurs selon Tristram Wyatt, qui explique que les statistiques soutenant cette étude sont sujettes à discussion, mais moins critiquée par d’autres, comme Ivan Rodriguez, selon qui tout reste ouvert dans ce champ de recherche.
Selon l’expert britannique, l’identification de la première vraie phéromone humaine pourrait venir de l’observation de la mère allaitant son nouveau-né. En effet, en 2009, une équipe de chercheurs français a découvert que les sécrétions de glandes aréolaires sur les tétons des femmes allaitantes déclenchaient un comportement de succion chez le nouveau-né, et ce quelle que soit la femme chez qui l’on a prélevé les sécrétions. Celles-ci pourraient contenir une ou des phéromones responsables de ce comportement. «Les nouveau-nés sont la meilleure piste pour trouver la première phéromone humaine, suggère Tristram Wyatt. Car leur comportement est moins compliqué à étudier que les adultes soumis à des différences culturels et d’apprentissage.»
Le problème principal de ce domaine de recherche est de pouvoir discriminer entre un comportement inné – celui déclenché par une phéromone – et un comportement acquis par l’expérience. «La difficulté est réelle et souvent ignorée, dit Ivan Rodriguez. Les nouveau-nés eux-mêmes ont été exposés à des stimuli sensoriels dans le ventre maternel. Le liquide amniotique contient diverses molécules, dont certaines reflètent ce qu’a mangé la mère. Le fœtus peut développer des préférences gustatives in utero.» Au final, «on ne peut pas maintenir un petit homme dans une boîte noire quelques années afin de prévenir tout apprentissage».
Jalonné d’idées ou d’envies visant à expliquer nos comportements, le champ d’étude des phéromones chez l’humain n’en est qu’à ses premiers balbutiements.
«Des dizaines de nouvelles sécrétions sont produites par des glandes lors de la puberté»