Après un voyage de dix mois et 680 millions de kilomètres, elle touche au but. Lancée le 4 août 2007, la sonde Phoenix Mars Lander de la NASA doit se poser sur Mars dans la nuit de dimanche à lundi (à 1h53). L'objectif principal de cette plate-forme robotisée, non mobile, sera de déterminer si les conditions sur la planète rouge sont telles que la vie a pu ou peut encore y exister. Elle y cherchera notamment de l'eau dans le sol rouge.
Dimanche, au centre de contrôle du Jet Propulsion Laboratory (JPL) à Pasadena, un homme tentera de ne pas perdre une miette de cet événement. C'est l'ingénieur zurichois Richard Kornfeld, 40 ans, actif depuis neuf ans au JPL (LT du 21.10.06).
Le Temps: Quel est votre rôle dans la mission Phoenix Mars Lander?
Richard Kornfeld: Une fois la sonde posée sur le sol martien, je ferai partie de l'équipe d'opération de surface, basée à Tucson. Je serai responsable d'un groupe qui doit planifier les commandes à envoyer d'un jour à l'autre au robot.
Lors de l'«amarsissage», j'aurai une tâche cruciale à Pasadena: je devrai m'assurer que le centre de contrôle maintienne une communication avec la sonde durant la phase finale. C'est un rôle très exposé, dans la mesure où si quelque chose ne tourne par rond, si nous ne recevons plus de signal de Phoenix, ce sera difficile pour nous d'évaluer l'état de la sonde... Garder un contact continu avec un quelconque engin spatial est désormais un impératif exigé par la NASA. Car en 1999, Mars Polar Lander a disparu sans que l'on puisse dire pourquoi, puisque aucun système de communication n'avait été prévu durant la séquence de la descente.
- Etes-vous tendu?
- Je mentirais si je disais que je suis relax. Je suis ingénieur, donc je sais que nous avons fait au mieux. Mais il existe toujours un risque résiduel. Car se poser sur Mars reste un immense défi: environ la moitié des missions ont échoué... Donc oui, je suis un peu inquiet. Mais c'est le cas pour tout le monde ici.
- Quel est le moment le plus critique?
- Il n'y a pas de définition scientifique pour cela, car chacun, en fonction de son poste, a ses propres critères. Mais les «sept minutes de terreur» seront probablement les plus déterminantes. Cela correspond au temps que prendra la sonde pour traverser l'atmosphère martienne. Imaginez-vous: Phoenix vogue actuellement à la vitesse de 5,7 km/sec. Lors de l'entrée dans l'atmosphère, l'air martien va tellement freiner la sonde que son bouclier thermique va atteindre 1400°C. Ensuite, à 12 km d'altitude, un parachute va se déployer. Enfin, pour le dernier kilomètre, l'engin va s'en détacher et se posera à l'aide de rétrofusées, à l'image de la fusée dans «Tintin sur la Lune». Ce système a été installé en 1976 sur les deux sondes martiennes Viking, mais n'a plus été utilisé jusqu'à Mars Polar Lander, qui a été perdue en 1999 - d'où aussi le nom de Phoenix pour cette nouvelle mission...
- Pourquoi cette technologie a-t-elle été autant sous-exploitée?
- Elle implique des manœuvres très complexes. En revanche, elle offre un gros avantage, car elle permet à la sonde d'emporter plus d'équipements scientifiques. Les deux robots Spirit et Opportunity, eux, se sont posés sur Mars blottis dans d'immenses airbags. Or ce dispositif occupe beaucoup de place dans l'engin spatial.
- Quant au site choisi, sa topographie présente-t-elle des risques?
- Il s'agit évidemment d'éviter au maximum les sols rocailleux pour pouvoir mener les recherches planifiées sur les sols. Nous avions d'abord choisi un site que nous croyions approprié, mais récemment des images de haute résolution prises avec la Mars Reconnaissance Orbiter, qui tourne autour de la planète rouge, nous ont montré que la surface était en fait couverte de cailloux. Nous avons donc dû en trouver un autre, plus sûr, qui s'appelle Vastitas Borealis. Il est situé dans les plaines circumpolaires arctiques de Mars.
- Une fois la sonde posée, quelles seront les premières manipulations que vous effectuerez?
- Durant une dizaine de jours, nous allons déployer les panneaux solaires puis «déballer» les instruments - caméra, bras robotisé équipé d'une pioche, installations météo, microscope AFM (lire ci-contre), etc. - et les enclencher. Puis nous allons caractériser le site sur lequel nous nous trouverons (prises d'images, mesure des températures nocturnes et diurnes, conditions du sol, etc.). Ensuite, nous pourrons lancer les recherches purement scientifiques. Elles dureront 90 sols [jours martiens, qui durent chacun l'équivalent de 24h39 sur Terre, ndlr.]. Nous nous relayerons alors 24 heures sur 24, sept jours sur sept, en vivant à l'heure martienne...
- Vous vous y croyez déjà...
- Oui, c'est l'expérience scientifique la plus fantastique qu'il m'ait été donné de vivre. Sur la Terre, s'entend, car mon idéal resterait d'aller dans l'espace. Mais, comme avec les deux rovers, nous nous apprêtons à vivre un moment unique: recevoir la première image d'un lieu dans le système solaire que personne n'a jamais vu auparavant. C'est très excitant!