Avis de remous quantiques entre Bruxelles et Berne
Politique scientifique
La Suisse et d’autres Etats tiers sont menacés d’expulsion des programmes européens de recherche en technologies quantiques et spatiales. En voulant protéger ses secteurs les plus sensibles, l’UE pourrait se tirer une balle dans le pied

A l’ombre des discussions actuelles sur l’accord-cadre entre la Suisse et l’Union européenne (UE) se tient à Bruxelles un débat autrement plus silencieux. Le sujet: la remise en question de la participation de certains Etats tiers à plusieurs secteurs stratégiques d’Horizon Europe, programme de recherche scientifique richement doté. La Suisse, le Royaume-Uni et Israël sont visés.
L’affaire a été révélée en mars, après une fuite de documents de la Commission européenne, reproduits sur le site Science Business. Ils renseignent sur le chantier représenté par un tel méga-programmes et, parmi les informations saillantes, celle-ci: Bruxelles prévoit d’exclure ces trois pays des projets (flagships) quantiques et spatiaux, considérés comme sensibles.
Peu de temps après, toujours d’après ce site, un nouveau brouillon ayant fuité mentionnait cependant bien la Suisse, mais pas les deux autres Etats, dans les participants possibles au flagship quantique, appelé Quantum Flagship. Elle demeure apparemment exclue des flagships spatiaux.
La situation reste floue. D’après les informations que nous avons pu obtenir, l’issue devrait être finalement favorable, au moins pour la Suisse. Mais la décision de l’intégrer au Quantum Flagship n’a pas encore été confirmée au plus haut niveau.
Un «Human Brain» du quantique
Lancé en 2018, le Quantum Flagship est un projet d’envergure comparable au fameux Human Brain Project. Il est doté de 1 milliard d’euros sur dix ans, financés par phases par la Commission européenne et les Etats membres.
Sur les 20 premiers projets lauréats validés, deux sont pilotés depuis des institutions suisses. Le premier, QRange, a pour objectif de développer de nouveaux générateurs quantiques de nombres aléatoires. L’autre, macQsimal, est sis à Neuchâtel, au Centre suisse d’électronique et de microtechnique (CSEM). Il porte sur la mise au point de capteurs quantiques miniaturisés destinés à des applications industrielles.
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Pour participer au deuxième round de financement, les consortiums candidats doivent au préalable signer une convention-cadre de partenariat avec la Commission européenne, laquelle lancera ensuite des appels à projets. C’est la participation de ces Etats tiers aux conventions-cadres qui est actuellement remise en question. Signe que les discussions sont en cours, l’Europe vient de repousser les dates butoirs pour ces conventions, probablement le temps de clarifier la situation. «Nous sommes dans l’incertitude, touchons du bois», soupire Hugo Zbinden, physicien à l’Université de Genève et coordinateur de QRange.
L’Europe s’agace de son manque de leadership sur les technologies quantiques. Elle forme parmi les meilleurs scientifiques du monde en la matière, mais reste à la traîne en termes de transfert de technologies vers le monde industriel, quand ce ne sont pas ses chercheurs qui vont faire carrière chez IBM ou Google. Dans un futur contexte de relance post-pandémique, l’UE entend investir et protéger ce secteur promettant une révolution informatique et industrielle inédite.
Course quantique
Elle n’est évidemment pas la seule à avoir cette idée, tous les concurrents bombent le torse en promettant des milliards: Chine, Etats-Unis, GAFA, sans oublier les Etats européens eux-mêmes. En janvier, le président français, Emmanuel Macron, a présenté un plan d’investissement national de 1,8 milliard d’euros dans le quantique. L’Allemagne a enchéri avec 2 milliards. Des sommes colossales qui laissent perplexe: la physique quantique et ses applications restent une communauté de taille modeste, dix ans sont nécessaires pour former un étudiant. Sans les ressources humaines associées, un tel pactole perd de son intérêt.
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Il ne fait toutefois aucun doute que, avec leurs implications en termes de souveraineté et de sécurité nationales, les technologies quantiques sont un domaine hautement sensible. Que l’Europe souhaite le protéger est légitime, mais se passer des services du Royaume-Uni, de la Suisse et d’Israël, trois pays experts en la matière, semble incompréhensible. Vendredi dernier, cinq associations européennes d’universités et de hautes écoles sont montées au créneau pour défendre les Etats mis sur la touche par voie de communiqué. «Nous sommes préoccupés par les propositions d’exclusion du Royaume-Uni, de la Suisse et potentiellement d’autres pays à certaines parties du programme [Horizon Europe] […]. Nous demandons à la Commission européenne de revoir sa position», peut-on lire sur le site de German U15, qui regroupe les plus grandes universités allemandes.