Buzz autour d’une particule mystère repérée au CERN
Physique
Les physiciens ont observé des anomalies dans les résultats des expériences du LHC. Peut-être la signature d’une particule six fois plus massive que le boson de Higgs. De quoi révolutionner la physique!

«On est dans le brouillard ! », sourit Yves Sirois. Le physicien des particules du Centre national français de recherche scientifique (CNRS) ne dit pas ça parce qu’il est à la neige, dans les Alpes italiennes. C’est seulement l’impression qu’il a eue, avec d’autres, le 17 mars, en écoutant les exposés dans une salle archicomble de cette station de La Thuile, où se tiennent les 51es Rencontres de Moriond, conférence annuelle originale de physique théorique mêlant exposés et détente, jeunes chercheurs et aînés plus chevronnés. Le brouillard vient d’une excitation pour… une bosse. Rien à voir là encore avec le ski, mais avec un défaut apparu sur les courbes de résultats de deux expériences, Atlas et CMS, installées sur l’accélérateur LHC du CERN, à Genève.
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Cette machine, le 4 juillet 2012, avait trouvé le boson de Higgs, pièce manquante du puzzle décrivant toutes les particules élémentaires connues. Mais le travail a continué pour faire encore plus fort. Au printemps 2015, l’énergie du LHC a augmenté de 60 % pour forcer la matière ordinaire à créer des choses extraordinaires.
Le 15 décembre 2015, les premiers bilans des deux expériences enregistrant l’effet de ces collisions de particules ont soulevé l’enthousiasme : de l’inattendu avait pointé le bout de son nez, la fameuse bosse. Depuis, plus de 263 articles ont été mis en ligne sur le site arXiv.org pour expliquer cette anomalie. « Soit c’est la plus grande découverte de ces dernières années, soit la plus grande fluctuation statistique jamais observée », estime Alessandro Strumia (Université de Pise), chargé de faire la synthèse de ce bouillonnement intellectuel à La Thuile.
Provoquer l’anomalie
Les chercheurs, même sur les pistes, ne sont pas des casse-cou. Avant d’annoncer une découverte, il leur faut des preuves solides. Ce n’est pas parce qu’une pièce tombe trois fois de suite sur pile qu’ils vont jurer que la pièce est truquée. Un coup du hasard, autrement dit une fluctuation statistique, peut provoquer l’anomalie. Il faut donc refaire et refaire encore les lancers…
Les physiciens ne jouent pas aux dés mais ils ont constaté un comportement anormal dans leurs expériences. A une certaine énergie, il y a plus de flashs lumineux qu’attendu. Cet excès correspond à la fameuse bosse. Ces flashs sont des paires de grains de lumière (photons) qui trahissent la désintégration soudaine d’une très grosse particule, six fois plus lourde que le boson de Higgs de 2012. Dans les unités des physiciens, elle pèse 750 gigaélectronvolts (GeV). Pour l’instant, il y a une chance sur 10 000 que ce ne soit pas une vraie particule mais seulement une facétie statistique. Il faut baisser ce seuil d’au moins 100 fois, soit l’équivalent de plus de 21 pièces tombant sur pile d’affilé…
« Certains disent que cet appétit des théoriciens est un signe de mauvaise santé car il n’y a pas encore de découverte et plein d’articles. Je trouve au contraire que c’est plutôt sain. On ne va pas se taire jusqu’à atteindre le seuil requis », s’emporte ironiquement Yann Mambrini, de l’Université Paris-Sud, qui a posté son explication le jour même du 15 décembre !
Qu’y a-t-il dans le sac à dos de ces skieurs de bosses ? « Il n’est pas bien compliqué de rendre compte de cet excès, mais à première vue cette nouvelle particule ne semble pas apporter le moindre élément de réponse aux questions importantes sur lesquelles nous butons, comme la matière noire, l’énergie noire… », résume Christophe Grojean, théoricien du synchrotron allemand DESY, à Hambourg.
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Pas bien compliqué, c’est vite dit, tant les propositions passent au-dessus de nos têtes. Quelles que soient les propositions, le paysage qui se dessine est radicalement nouveau : des particules jamais vues à la pelle ou presque, des forces différentes des quatre actuelles, des dimensions supplémentaires pour notre espace…
Recherche intense
Il se dégage cependant un modèle consensuel. Les gluons qui assurent la cohésion des protons (les constituants des atomes) entrant en collision pourraient fusionner pour former cette grosse particule qui se désintégrerait très vite. Cette cuisine de gluons nécessite en outre d’autres particules encore à découvrir. Certains imaginent aussi que la désintégration ne crée pas seulement une paire de photons, mais aussi d’autres particules indétectables qui seraient la fameuse «matière noire»… Le gros intrus serait alors un médiateur entre le visible et l’invisible. « Tout est un peu tiré par les cheveux. Aucune version minimale des modèles n’est suffisante. Il manque quelque chose ! », constate Abdelhak Djouadi, théoricien à l’Université Paris-Sud et au CERN.
Tout est un peu tiré par les cheveux. Aucune version minimale des modèles n’est suffisante. Il manque quelque chose !
Certes, le 17 mars, les exposés d’Atlas et de CMS n’ont pas permis de trancher en faveur d’une découverte, mais ils ont renforcé les convictions en apportant de nouvelles analyses. « Tout est au vert ! Ça a le goût et la couleur de quelque chose , savoure Yves Sirois, impliqué sur CMS. Mais ça peut disparaître. » Il est vrai que les deux expériences indépendantes trouvent la bosse au même endroit. Que lorsque CMS ajoute quelques données de plus, la bosse monte et les fluctuations statistiques baissent. Que de nouvelles bosses à plus haute énergie se profilent. Et que dans les « vieilles » données à plus faible énergie, une minibosse à 750 GeV aussi a été vue, mais toujours en dessous des standards statistiques requis…
Dès fin avril, le programme de recherche sera intense, avec la reprise des collisions au LHC après la pause hivernale. D’abord, multiplier les « tirages » pour s’assurer statistiquement que l’anomalie est bien là. Ensuite, observer d’autres modes de disparition de cette grosse particule mystère. Le feu d’artifice en deux photons n’est pas le seul. D’autres paires, plus exotiques, sont attendues et permettront de cerner la bête. Enfin, déterminer une propriété-clé du nouveau venu : son « spin », ou comment il tourne sur lui-même. Il se pourrait que la particule à 750 GeV soit d’un type jamais vu. Et qui ne s’expliquerait que par un espace avec plus de trois dimensions…
Alessandro Strumia s’est montré sanglant en conclusion : « Si c’est confirmé, de nouvelles données tueront des modèles, et après ce massacre la bonne théorie et ses conséquences fondamentales émergeront. » Réponse très probable avant juillet. Deux à trois fois plus de données seront suffisantes pour en finir avec les facéties statistiques et vérifier si la bosse persiste, pour sauter très haut.