A Fribourg, l’Institut Adolphe Merkle fait la lumière sur les matériaux du futur
#LeTempsàVélo
Le discret centre de recherches fribourgeois est devenu un centre de compétences international en bionanomatériaux. Rencontre en ses murs

#LeTempsAVélo
Durant six semaines, plusieurs équipes de journalistes du Temps et d’Heidi.news se relaient pour parcourir la Suisse à vélo et raconter ses transformations. Suivez leur odyssée grâce à notre carte interactive et retrouvez leurs articles écrits au fil du chemin.
Toujours aussi classe, l’Institut Adolphe Merkle. Le Temps y a fait une halte lors d’une des étapes de son tour de Suisse à vélo. Le centre de recherches fribourgeois est depuis 2014 installé dans l’ancienne clinique Garcia, respectable bâtiment de style art nouveau et chargé d’histoire et d’émotion, de nombreux Fribourgeois et Fribourgeoises y étant venus au monde depuis le début du XXe siècle. L’ancien et l’ultra-moderne s’y mêlent joyeusement, mais sans dénaturer l’édifice, dont les parties historiques demeurent classées.
On ne se lasse pas de répéter l’histoire de cet institut, fruit du don plus que généreux de l’industriel et mécène décédé en 2012 Adolphe Merkle, qui a légué à l’Université de Fribourg la bagatelle de 100 millions de francs en 2007 – le plus important don de la sorte dans le pays.
L’homme avait fondé en 1952 l’entreprise Vibro-Meter à Villars-sur-Glâne, spécialisée dans les appareils de mesure et de contrôle des vibrations. Sa compagnie est passée entre les mains du Zurichois Elektrowatt en 1991 puis du Britannique Meggitt en 1998, leader mondial des systèmes de surveillance des vibrations pour les réacteurs d’avion. Aujourd’hui, c’est un groupe américain qui lorgne l’entreprise, et serait prêt à débourser 8 milliards pour ce faire.
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Biomimétisme
De cette somme considérable, l’université a mis sur pied un institut de plurilinguisme et un autre dédié aux nanotechnologies, dont il est question aujourd’hui. On y effectue des recherches réparties dans quatre chaires, en matériaux et chimie des polymères, en physique de la matière molle, en biophysique, et en bionanomatériaux. Le centre est également depuis 2014 le fer de lance du Pôle de recherche national Matériaux bio-inspirés, qui vise à développer de nouveaux matériaux, souvent inspirés de la nature et qu’on souhaite plus performants.
Un exemple en est donné par Hanna Traeger, doctorante allemande qui étudie les matériaux dits «mécanochromiques», c’est-à-dire qui changent de couleur en fonction de la pression mécanique à laquelle ils sont soumis. Elle place sous une lampe à ultraviolets un morceau d’élastique orange qu’elle étire et qui, ce faisant, devient vert. Le prodige s’explique en examinant de près la structure moléculaire de l’ensemble. «Deux molécules de colorant sont piégées dans un polymère qui, lorsqu’il est étiré, écarte les deux colorants l’un de l’autre, ce qui en modifie les propriétés lumineuses et les rend fluorescentes», explique la chercheuse. Et puisque les liaisons chimiques ne sont pas cassées par l’étirement, le processus est entièrement réversible.
Son travail relève de la recherche fondamentale et vise pour l’heure à mieux comprendre la nature des polymères, mais les applications pourraient concerner le contrôle qualité de matériaux, par exemple pour savoir si du béton commence à se déformer, ou si du matériel stérile a été souillé.
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A la recherche de l’ordre perdu
Dans le groupe de recherche de physique de la matière molle, Alessandro Parisotto déballe des boîtes transparentes contenant des spécimens préservés de papillons, scarabées et autres coléoptères qui tous arborent de délicats reflets iridescents. Cette propriété optique consiste en une variation des couleurs en fonction de l’angle de vue de l’objet et qu’on trouve également dans les plumes de paon ou encore les bulles de savon.
On se croirait presque dans un muséum d’histoire naturelle, et non dans un labo de physique. Pourtant c’est bien de cela qu’il s’agit. Ce doctorant étudie l’origine moléculaire et structurelle de l’iridescence. «Ces surfaces sont des miroirs sélectifs: elles absorbent la lumière blanche mais ne reflètent que certaines couleurs, et sans perte d’énergie, ce qui explique leur brillance», précise Alessandro Parisotto.
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Le secret se trouve dans l’organisation très particulière des molécules à la surface des écailles ou des ailes de ces animaux. Théoriquement, seule une structure parfaitement ordonnée peut ainsi réfléchir la lumière. Or au microscope, c’est un complet désordre qui s’offre à nos yeux. Les scientifiques pensent que ce capharnaüm moléculaire ne serait qu’apparent, et espèrent découvrir les lois physiques et mathématiques qui gouvernent ce phénomène. Là aussi, ces interrogations sont éminemment fondamentales. Pour l’instant: on pourrait en effet imaginer un jour parvenir à synthétiser de tels matériaux, des crèmes solaires ultra-performantes, par exemple.