L’intrication, la réalité d’une action «fantomatique»
Mystères quantiques (5/5)
AbonnéDans les années 1970, une expérience faisant appel aux propriétés d’étranges paires de particules a tranché un débat philosophique remontant aux années 1930

A l’échelle atomique, la réalité est gouvernée par le hasard et semble échapper au bon sens. «Le Temps» vous propose cinq incursions dans le monde quantique pour tenter d’y voir plus clair.
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Un objet qui réagit instantanément à une action effectuée à des dizaines de milliers de kilomètres de là. Le principe, au cœur de la physique quantique, abreuve l’imaginaire de la science-fiction, qui y voit la porte ouverte à la téléportation ou encore à la communication d’informations à une vitesse supérieure à celle de la lumière, limite pourtant indépassable fixée par la théorie de la relativité.
De quoi est-il question? En physique quantique, deux particules nées d’une même source dans certaines conditions peuvent être liées par des propriétés très particulières: ce qui arrive à l’une aura une influence immédiate sur ce qui arrive à l’autre, aussi éloignées puissent-elles être. On parle d’intrication.
Dans l’infiniment petit, les particules sont dans une superposition de différents états avant qu’on ne les mesure. Un photon pourra ainsi être à la fois polarisé horizontalement et verticalement, avec 50% de chances d’observer l’un ou l’autre, mais avec l’impossibilité de prédire lequel sera détecté. Dans le cas d’une paire de photons intriqués, la mesure de l’un détermine infailliblement et instantanément la polarisation de l’autre, peu importe où il se trouve.
L’existence théorique de cette relation a été mise en avant par Albert Einstein, Boris Podolsky et Nathan Rosen en 1935 dans une expérience de pensée destinée à montrer que la physique quantique ne saurait être complète. Cette «action fantomatique à distance» («Spukhafte Fernwirkung»), selon Einstein, contredit en effet le principe de localité, qui veut qu’une action ne puisse avoir d’effet en un autre lieu plus rapidement qu’à la vitesse de la lumière. Concrètement, on ne voit pas la flamme d’une bougie avant que la lumière émise n’ait atteint notre rétine.
Une percée expérimentale
L’existence d’une action de cause à effet instantanée à distance va cristalliser durant des années un débat épistémologique entre le réalisme d’Einstein, qui postulait qu’il devait y avoir une réalité objective cachée, et l’interprétation du Danois Niels Bohr, selon lequel tant qu’il n’y a pas observation, les objets quantiques n’ont objectivement pas de propriétés déterminées.
Le débat sera définitivement tranché au début des années 1970, après la mort des deux célèbres physiciens, par une percée expérimentale que l’on doit à Alain Aspect. Grâce à un dispositif complexe qu’il a mis des années à réaliser, le Français parvient à montrer la réalité expérimentale de l’intrication de deux photons, donnant en cela raison à la vision de Bohr.
Comme des jumeaux, les particules restent intrinsèquement liées, aussi grande soit la distance qui les sépare, aime à rappeler Alain Aspect. Pourtant, cette propriété ne permet pas d’échange d’information plus rapidement que la lumière. En effet, comme il est impossible de prédire le résultat d’une mesure sur un objet quantique, on ne peut que constater a posteriori que deux particules intriquées ont bien eu le comportement prévu par la théorie. Impossible, donc, d’utiliser ce phénomène pour envoyer de l’information instantanément, n’en déplaise aux auteurs de science-fiction.
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