Le Prix Nobel de physique 2021 est attribué à Syukuro Manabe, Klaus Hasselmann et Giorgio Parisi pour leurs travaux «ayant contribué à la compréhension de systèmes physiques complexes», notamment la modélisation climatique.

Le Japonais Syukuro Manabe de l’Université Princeton dans le New Jersey et l’Allemand Klaus Hasselmann de l’Institut Max Planck pour la météorologie à Hambourg se partagent la première moitié du prix. Le comité Nobel a distingué leurs recherches sur «la modélisation physique du climat terrestre, la quantification de la variabilité et la fiabilité de la prédiction du réchauffement planétaire». Une récompense qui résonne particulièrement avec l’actualité liée au réchauffement climatique.

Effet de serre

«L’art de la prédiction est une chose difficile – surtout lorsqu’elle concerne le futur» plaisantait un autre Nobel, le physicien danois Niels Bohr. Les modèles prédictifs sont au cœur de bien des domaines de la science, et c’est là le fil rouge qui relie les lauréats choisis par le comité cette année.

C’est peu dire que Syukuro Manabe et Klaus Hasselmann ont signé des articles décisifs pour la climatologie. En 2015, le site spécialisé Carbon Brief lançait un sondage demandant aux experts les plus reconnus du GIEC quel était l’article scientifique sur le changement climatique qui les avait le plus marqués. La réponse la plus fréquente se référait à un article paru en… 1967 dans le Journal of Atmospheric Sciences et signé par Syukuro Manabe et Richard Wetherald.

Il ne s’agissait ni plus ni moins que de la toute première modélisation numérique tentant de décrire le plus fidèlement possible le climat terrestre et les conséquences provoquées par un doublement de la teneur en CO2 dans l’atmosphère, «qui augmenterait la température de surface de 2,3 degrés Celsius», peut-on lire dans les conclusions.

Manabe, en particulier, a été l’un des premiers scientifiques à avoir étudié les interactions entre la chaleur solaire arrivant sur Terre et celle qui en repart après avoir été réfléchie, et dont la différence est appelée bilan radiatif (ou énergétique) terrestre. Lorsque celui-ci est nul, la planète émet autant d’énergie qu’elle en reçoit, sa température reste donc constante.

Or certains gaz atmosphériques (la vapeur d’eau, le CO2 et le méthane, entre autres) absorbent une partie du rayonnement émis par la Terre. Si leur présence s’accroît dans l’atmosphère, alors la chaleur est «piégée» en surface, le bilan radiatif s’en trouve modifié, et les températures montent. Vous avez dit effet de serre? C’est bien de cela qu’il s’agit.

Des empreintes humaines sur le climat

Une dizaine d’années plus tard, Klaus Hasselmann a créé un autre modèle s’appuyant sur les travaux de Manabe et décrivant les liens entre climat et météorologie, établissant ainsi une preuve de la fiabilité des modèles climatiques malgré le comportement chaotique de la météo.

C’est également à lui que l’on doit les premiers résultats établissant des relations avérées entre les émissions de CO2 d’origine anthropique et l’élévation de la température atmosphérique. Il a pour cela mis au point des méthodes d’identification de motifs, ou fingerprints (empreintes) comme autant de signaux laissant une trace sur le climat tout en étant spécifiques de l’activité humaine ou de phénomènes naturels.

«Syukuro Manabe et Klaus Hasselmann sont tous les deux des pionniers de la recherche climatique. Ce prix est entièrement justifié et ils auraient mérité de le recevoir déjà depuis des années», fait valoir Sonia Seneviratne, climatologue à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich.

Unifier la complexité

Giorgio Parisi, de l’Université Sapienza à Rome, reçoit l’autre moitié du prix «pour la découverte des interactions entre désordre et fluctuations dans les systèmes physiques, de l’échelle atomique à planétaire».

Le climat n’est pas le seul système complexe. Le cerveau, les déplacements de piétons dans une foule, les colonies de fourmis, l’écoulement des grains de sable ou encore les cours de la bourse sont autant d’exemples d’environnements sur lesquels les méthodes analytiques classiques se cassent les dents.

L’Italien est parvenu dans les années 1980 à mettre au point des méthodes mathématiques capables de décrire des phénomènes complexes, et qui fonctionnent sur de multiples systèmes n’ayant aucun rapport entre eux, fondant ainsi les sciences de la complexité.

Le nom de Giorgio Parisi circulait officieusement parmi les «nobélisables» – le scientifique le savait et en parlait même à la fin septembre au quotidien La Repubblica. Médaille Max Planck, prix Wolf, médaille Boltzmann… Il était bardé des plus grandes récompenses et il ne lui manquait, en fait, que le Nobel.