Tornades et tourbillons, des coups de vent spectaculaires autant qu'imprévisibles
MÉTÉO MYSTÈRE 3/3
Cet hiver, «Le Temps» sort de son confinement et vous emmène à la découverte de phénomènes naturels connus depuis longtemps mais toujours mal compris. Troisième épisode, les trombes qui se forment sur les terres et les mers… avec parfois des conséquences dévastatrices

«Une tornade en décembre? N’oubliez pas que nous sommes en 2020, plus rien ne peut nous surprendre!» C’est en ces mots que les responsables du site Severe-Weather.eu ont commenté la formation d’une brève trombe marine près du port italien de Trieste, dans la soirée du 7 décembre. Une première était déjà apparue en milieu de journée. Fort heureusement, il n’y a pas eu de dégâts, pour un événement inédit à cette époque de l’année.
Ailleurs, le compteur de 2020 affiche déjà un millier de tornades aux Etats-Unis, le pays le plus sujet au phénomène, avec un lourd bilan (78 décès). D’autres ont tué cette année au Vietnam, au Canada, en Indonésie et au Mexique, sans qu’on y puisse grand-chose. Car les tornades – ou trombes – sont sans doute les phénomènes météorologiques les plus imprévisibles, avec des trajectoires erratiques.
Des sols lisses et un orage
C’est à chaque fois la même rengaine. Sous un cumulonimbus actif, un tourbillon se forme et sème le chaos: sur une distance de quelques centaines de mètres pour les plus petits, et jusqu’à plusieurs dizaines de kilomètres pour les plus importants, avec des vents parfois chronométrés à près de 500 km/h, à l’image de la tornade qui dévasta, le 3 mai 1998, la région d’Oklahoma City. Il avait alors suffi de 90 minutes pour emporter 35 vies et détruire ou endommager gravement des milliers de maisons, des immeubles, des buildings et des églises.
Plus près de nous, la Grande-Bretagne détient un record: 104 tornades en seulement cinq heures et demie le 23 novembre 1981! Fort heureusement, les trombes européennes sont plus modestes que celles qui frappent les Etats-Unis ou le Bangladesh, autre pays sujet aux tourbillons meurtriers…
En Suisse, le relief marqué rend la formation des tornades plus difficile qu’en terrain plat. Mais on observe régulièrement la formation de trombes lacustres, notamment en été lorsqu’une intrusion d’air froid se produit au-dessus de la surface chaude d’un lac
«Ce sont surtout des phénomènes de plaine, explique le physicien français Jean Dessens, qui a passé sa vie à étudier les nuages et les tornades, avant de consacrer sa retraite active à la prévention de la grêle. Il faut des sols assez lisses, il y a trop de relief en montagne.» La première condition à remplir est la présence d’un orage, qui crée un puissant courant d’air transportant l’air chaud près du sol à la rencontre d’un air froid en altitude. La seconde condition est que cet air doit se mettre en rotation sous l’effet de la force de Coriolis (l’effet de la toupie terrestre). Sans cette rotation, qui est bloquée par la rugosité des forêts et les terrains vallonnés, il n’y aura pas de trombe.
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On doit le premier travail scientifique sur les tornades au… théologien français François Lamy, dont un ouvrage paru en 1689 relate une enquête fouillée sur plusieurs épisodes, notamment dans la région de Reims en 1680. Il témoigne alors des fantasmes suscités par ces météores, nourrissant les croyances populaires: «Les uns ne me parlaient que de dragons enflammés dont cette colonne était pleine. Les autres avaient vu une échelle qui s’étendait de la terre au ciel, et par laquelle des anges montaient et descendaient…»
De quoi arracher toits, hangars et arbres
Par la suite, en 1840, le physicien Jean Charles Athanase Peltier fait un premier recensement pour l’Hexagone, avant que son collègue allemand Alfred Wegener – passé à la postérité pour sa contribution à la tectonique des plaques – ne l’étende à l’ensemble de l’Europe en 1917, installant définitivement l’étude des tornades dans la science météorologique. Depuis, le savoir-faire a franchi l’Atlantique, avec les chasseurs de tornades américains, comme le relate de manière assez scientifique le blockbuster Twister (1996).
Les trombes sont classées sur l’échelle de Fujita «améliorée», d’EF1 à EF5, en fonction des dégâts engendrés. Une EF5 peut mesurer jusqu’à 10 kilomètres de diamètre, avec des vents qui dépassent largement ceux des cyclones: «On estime qu’elles pourraient atteindre la célérité du son – environ 1200 km/h – dans certaines situations», précise Jean Dessens. En Europe, les plus puissantes dépassent rarement le niveau EF3, avec des vents pouvant atteindre 330 km/h. De quoi arracher toits, hangars, arbres et récoltes. Au-delà, les voitures volent parfois sur plus de 100 m, et les constructions les plus solides connaissent des dégâts incommensurables, quand elles ne sont pas tout simplement détruites.
«Le 18 juillet 2005, un orage très violent s’est formé dans la région lyonnaise avant de frapper l’Arc lémanique, raconte Lionel Peyraud, prévisionniste à MétéoSuisse. Il a détruit des vignobles, des forêts et occasionné des dégâts aux constructions et aux véhicules.» Cet orage a généré deux tornades, l’une côté français, près de Veigy-Foncenex, et l’autre à l’est du Léman, près du camping de la réserve des Grangettes, juste au nord de Noville. Des rafales de 160 km/h ont été mesurées par MétéoSuisse à l’embouchure du Rhône près du Bouveret, où un plan de forêt à proximité a été complètement aplati. D’autres dégâts ont également été provoqués par des grêlons atteignant localement la taille d’une balle de golf…
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«En Suisse, le relief marqué rend la formation des tornades plus difficile qu’en terrain plat. Mais on observe régulièrement la formation de trombes lacustres, notamment en été lorsqu’une intrusion d’air froid se produit au-dessus de la surface chaude d’un lac. Heureusement, si ces trombes sont très photogéniques, elles ne représentent qu’un danger limité par rapport aux tornades qui, elles, sont nettement plus destructrices», poursuite Lionel Peyraud.
En forte augmentation
En France, qui connaît plusieurs régions favorables aux tornades – notamment les plaines des Hauts-de-France et de Champagne, le Languedoc et la Côte d’Azur – plus de 525 événements ont été recensés depuis 1680, dont une centaine de F2 et plus, selon un décompte établi en 2013 par Jean Dessens et son collègue François Paul. Des travaux qui rapportent des témoignages de vaches perchées dans les arbres, de barques, de poneys ou encore de moutons volants… Mais aussi malheureusement des décès, comme en juin 1967, où une série de huit tornades a frappé le nord de la France, puis le Benelux et l’Allemagne, tuant 15 personnes et en blessant 232 autres.
Le travail d’une équipe de l’Université de Manchester, publié en 2016, dénombre 9563 tornades sur l’Europe entre 1800 et 2014. Elle constate par ailleurs une forte augmentation de la fréquence du phénomène, probablement sous l’effet du réchauffement climatique: de huit par an jusqu’en 1850, la moyenne annuelle en Europe a grimpé à 242 pour 2000-2014. Des travaux publiés tout récemment, le 1er décembre, montrent qu’au cours des trente dernières années, l’Europe a subi quatre fois moins de petites tornades, neuf fois moins de tornades moyennes et 50 fois moins de trombes très destructrices.
Les météorologues britanniques nous ont aussi offert une information précieuse pour se prémunir des tornades: elles frappent préférentiellement entre 15h et 17h en été sur la majeure partie de l’Europe, et entre 11h et 13h sur le sud du continent. Décidément, la trombe de Trieste est bien étrange… et ces phénomènes toujours largement imprévisibles.
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