Encore une fois, le triclosan se retrouve au centre d’une alerte sanitaire
toxicologie
Présent dans de nombreux produits de consommation courante, l’antibactérien triclosan, déjà suspecté de multiples effets nocifs pour la santé et l’environnement, pourrait aussi favoriser le développement d’une inflammation et d’un cancer du côlon

Un nouveau soupçon sanitaire pèse sur le triclosan, un des agents antibactériens et antifongiques les plus utilisés au monde. A court terme, l’exposition à cette substance pourrait favoriser l’inflammation de l’intestin et accélérer le développement d’un cancer du côlon. C’est ce que suggère une étude chez la souris, publiée le 30 mai dans la revue Science Translational Medicine. Ce nouveau risque s’ajoute à une liste déjà longue d’effets néfastes documentés ou suspectés de ce composé chimique – un pesticide organochloré.
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Omniprésent, ou presque
Cosmétiques, dentifrices, shampoings, savons, désinfectants et détergents – mais aussi vêtements, meubles, jouets, tapis, plastiques, peintures…: on dénombre plus de 2000 produits contenant du triclosan. Impossible ou presque d’y échapper: aux Etats-Unis, le triclosan est détecté dans les urines de 75% de la population.
«Le triclosan est soupçonné de perturber le système endocrinien, de déclencher le cancer du sein, d’endommager les spermatozoïdes, de porter atteinte au foie et aux muscles et de provoquer des résistances aux antibiotiques. De plus ce produit irrite la peau», accusait, en août 2014 l’association suisse Médecins en faveur de l’environnement. «Cette substance chimique se retrouve dans le sang du cordon ombilical et dans le lait maternel. Les mères transmettent donc inévitablement du triclosan à leur embryon et leur nourrisson.»
Cette association a dressé une liste «loin d’être exhaustive» de produits d’usage courant contenant du triclosan en Suisse, invitant la population à la compléter. En novembre 2014, elle lançait une pétition «Interdire le triclosan, immédiatement». De son côté, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), branche de l’Organisation mondiale de la santé, suspecte ce composé de former du chloroforme, un cancérogène potentiel, au contact du chlore présent dans l’eau du robinet. Dans des modèles animaux, par exemple, le triclosan augmente les risques de tumeur du foie.
L’appel de Florence
En juin 2017, 206 scientifiques de 29 pays signaient l’«Appel de Florence», pour bannir le triclosan et son cousin le triclocarban. Ces deux substances «sont des perturbateurs endocriniens persistants et bio-accumulatifs, toxiques pour les milieux aquatiques et les organismes qui y vivent», alertaient-ils. L’homme y «est exposé au travers du contact direct (produits de soins) et via les aliments et l’eau potable ainsi que la poussière».
Le triclosan et le triclocarban «sont associés à des anomalies dans la reproduction et le développement», avertissaient-ils. De plus, «des études sur les animaux et l’humain suggèrent que l’exposition au triclosan accroît la sensibilité aux allergènes».
Ces antimicrobiens «sont susceptibles de modifier le microbiote», relevaient-ils aussi. L’étude du 30 mai conforte leur inquiétude. Les auteurs, de l’Université du Massachusetts à Amherst, ont testé chez la souris l’effet d’une ingestion de triclosan via l’eau de boisson ou la nourriture (à des doses comparables à celles auxquelles nous pouvons être exposés). Résultat, cet agent chimique exacerbe l’inflammation du côlon provoquée expérimentalement. Il stimule aussi la croissance des cellules de cancer du côlon liée à cette inflammation.
Le microbiote impliqué
Quels sont les mécanismes qui sous-tendent cette toxicité? Les bactéries saines du microbiote sont indispensables. Car le triclosan est sans effet chez des souris dépourvues de germes bactériens. Il n’agit pas davantage chez des rongeurs privés d’une protéine (TLR4) qui sert de «messager» entre les cellules de la souris et son microbiote. «C’est une preuve forte que le microbiote intestinal est crucial pour cet effet du triclosan sur la paroi du côlon», note Guodong Zhang, qui a dirigé les travaux. La substance entraîne aussi un appauvrissement de certaines bactéries du microbiote intestinal.
Bien sûr, les modèles souris restent loin de l’homme, admettent les auteurs. Mais c’est une incitation de plus à la prudence, souligne Alexandra Gruss, de l’Institut national français de recherche agronomique à Jouy-en-Josas. «Il existe des solutions de substitution satisfaisantes au triclosan pour la majorité de ses utilisations», notait en 2015 l’Institut national français de l’environnement industriel et des risques.
Des mesures timides ont certes été prises. Outre-Atlantique, la Food and Drug Administration (FDA) a interdit la commercialisation de savons contenant du triclosan en 2016. De son côté, l’Europe a banni le triclosan des produits de rasage fin 2014. Mais elle autorise toujours sa présence dans les dentifrices, savons, gels douches, déodorants et dans les solutions pour bains de bouche. En 2015, le Conseil fédéral suisse prohibait le triclosan dans les vêtements. Une mesure mal ciblée: 5% seulement des quantités de triclosan utilisé en Europe sont destinés aux textiles! Cette nouvelle alerte fera-t-elle bouger les lignes?