De la glace vieille de plus d’un million d’années, le dernier Graal des climatologues. Une dizaine de nations se sont lancées à sa recherche, avec comme terrain de jeu l’Antarctique. Les premiers qui la trouveront auront dans les mains un enregistrement climatique permettant de résoudre une énigme scientifique majeure pouvant être liée à la quantité de gaz carbonique présente jadis dans l’atmosphère. Or une étape essentielle reste à franchir: trouver le site pouvant receler le précieux trésor. Un travail de fourmi et de patience…

Au moment de sa formation, la glace emprisonne en son sein des bulles d’air qui témoignent de la composition de l’air ambiant. Grâce à elle, les climatologues ont accumulé des données leur permettant de lier les variations climatiques passées aux concentrations de gaz à effet de serre atmosphériques. La carotte de glace extraite lors du forage réalisé au Dôme C (base de Concordia), au milieu de l’Antarctique, dans le cadre du projet européen Epica, constitue le plus vieil enregistrement climatique obtenu à ce jour à partir de glace polaire: il a permis de montrer que les teneurs actuelles en CO2 sont de 30% supérieures à celles rencontrées durant les 800 000 dernières années. Les chercheurs ont par ailleurs trouvé, prisonnières de cette glace, les marques de huit cycles glaciaires-interglaciaires, chacun occupant une période moyenne de 100 000 ans.

«Or on sait, grâce à d’autres archives climatiques, qu’avant un million d’années par rapport à aujourd’hui, ces cycles étaient plus courts, de 40 000 ans environ, commente Hubertus Fischer, paléoclimatologue à l’Université de Berne et ancien collaborateur d’Epica. Que s’est-il passé à cette période charnière? Pour le savoir, il nous faut extraire une glace encore plus ancienne…»

L’Ipics – la communauté scientifique internationale travaillant sur les carottes de glace – s’est fixé comme l’un de ses objectifs prioritaires la recherche d’une glace âgée d’au moins 1,5 million d’années. «Une fois que nous l’aurons, nous procéderons d’abord à des analyses «classiques» telles que la mesure des isotopes de l’eau pour dater les couches de glace et reconstruire l’évolution de la température, nous déterminerons les quantités de CO2 et de méthane. Nous nous intéresserons aussi aux particules, aux aérosols ou à certains éléments traces comme le béryllium, indicateur de l’activité solaire.»

Mais avant cette vision palpitante encore faut-il… trouver cette glace. Et l’affaire n’est pas mince. «Les sites propices à une telle découverte doivent répondre à trois critères, explique le scientifique. Premièrement, il faut que le taux de précipitation annuel soit faible afin que l’épaisseur de glace à creuser reste raisonnable. De la même façon, si celle-ci est trop importante, le risque augmente de trouver de la glace fondue en profondeur [du fait du poids des couches supérieures, ndlr] – là où réside notre zone d’intérêt. Enfin, le socle rocheux doit être le moins accidenté possible de sorte à éviter le plissement des couches de glace.»

Depuis quelque temps, les chercheurs sont partis à la quête de cette très vieille glace en Antarctique. Ce continent n’est pas le seul à être enneigé: quid de l’Arctique? «Aucun glaciologue n’y penserait, balaie Hubertus Fischer. Le Groenland n’est recouvert de glace permanente «que» depuis 2,5 à 3 millions d’années. Et la fonte y est trop importante.»

L’Antarctique représente 13,8 millions de km2 de territoire englacé. Pour en appréhender la topographie sous-jacente, les scientifiques ont à leur disposition des données radar acquises depuis les années 1970. Celles-ci, parcellaires, documentent avant tout des secteurs proches des côtes et des stations de recherche, témoignant de la difficile exploration du continent blanc. Et entre deux zones couvertes par les radars, les incertitudes sont énormes. «En forçant le trait, c’est un peu comme si vous survoliez Genève et le lac Léman avec un radar embarqué, que vous fassiez la même chose au-dessus de Lyon et que vous vous demandiez si entre ces deux points il y a un relief de plaines ou bien de montagnes, souligne Jérôme Chappellaz, directeur de recherche CNRS au Laboratoire de glaciologie et géophysique de l’environnement à Grenoble. Impossible de répondre sans aller voir de plus près.» Or c’est ce qu’a fait le glaciologue en janvier lors d’un raid d’exploration entre les stations russe de Vostok et franco-italienne de Concordia (LT du 28.02.2012).

A 70 km au sud de la base européenne, son équipe a foré une carotte de 110 mètres de profondeur – en un point appelé Barnola – et a réalisé des profils radar haute fréquence de la zone. «Ceux-ci sont encourageants: ils suggèrent que la quantité de neige tombant chaque année à cet endroit est 10% plus faible qu’à Concordia, commente le chercheur. Ce qui peut être suffisant pour trouver de la très vieille glace. Concernant l’aspect du socle rocheux, il nous faut encore attendre le traitement d’autres données radar (basse fréquence) collectées par avion par des collègues texans.»

Américains, Chinois, Japonais, Australiens, Russes, Européens, plus d’une dizaine de nations ont des projets en cours visant à explorer l’Antarctique pour localiser et extraire la plus vieille glace du monde. Une logistique lourde conditionnant la réussite de cette entreprise, les projets se situent près des bases de chacun des pays. D’ici à une décennie, «deux ou trois sites seront probablement testés par des consortiums dans… une émulation positive», dit Jérôme Chappellaz.

Quelque 800 000 ans, 1,5 million d’années: pourrait-on, grâce à ce désert glacé qu’est l’Antarctique, remonter encore plus loin dans le temps? Ardue, la tâche ne s’avère pas impossible. Pour preuve, dans les vallées sèches près de la base de Mc Murdo, les scientifiques ont découvert une zone de glace âgée de huit millions d’années. Mais cette dernière, isolée entre deux dépôts volcaniques, ne renferme aucune série stratigraphique continue entre aujourd’hui et le passé, elle n’a donc pas d’intérêt climatologique.

Trouver le site pouvant receler le précieux trésor: un travail de fourmi et de patience