Première cartographie du côté obscur de l'Univers
SCIENCE
La répartition de l'énigmatique matière sombre dans le cosmos a été révélée par une équipe d'astrophysiciens.
C'est un des grands mystères de l'astronomie qui prend forme. Désormais autant au propre qu'au figuré. Des astrophysiciens ont, pour la première fois, réalisé une cartographie tridimensionnelle de cette entité énigmatique du cosmos qu'est la matière sombre. Des recherches, rendues publiques le 7 janvier par la revue Nature, qui confirment les théories cosmologiques existantes.
Toute la matière visible, des amas de galaxies aux atomes constituant ce journal en passant par les planètes, compose à peine 4% de l'Univers. Depuis les travaux du chercheur suisse Fritz Wicky en 1933, on sait aussi que de la matière «sombre» - ainsi nommée parce qu'elle est invisible - doit exister notamment dans les galaxies en rotation, accroissant leur masse totale. Sans quoi celles-ci seraient bien incapables de retenir par attraction gravitationnelle les étoiles les composant, mais expulseraient ces astres comme un manège tourant trop vite ses occupants. Les astronomes estiment que cette matière sombre compte pour 26% de la masse de l'Univers. Quant au reste, il s'agit pour 70% d'énergie sombre, une autre insaisissable entité découverte en 1998, et responsable de l'expansion accélérée de l'Univers depuis le big-bang.
Dégonfler un faux débat
Voir la matière sombre dans l'Univers n'est toutefois pas trivial. L'exercice est aussi ardu que de déterminer l'extension ou les bâtiments éteints d'une ville à partir seulement de clichés aériens pris de nuit, ses lumières tenant alors le rôle des étoiles. Mais les astrophysiciens ont imaginé une parade: la technique des lentilles gravitationnelles. Selon les théories d'Einstein, les objets célestes massifs courbent la trajectoire de la lumière qui les frôle, à la manière d'une lentille convergente. Repérer ces distorsions permet donc de suspecter la présence d'un corps de grande masse, même invisible, comme la matière sombre.
L'équipe de 70 astronomes emmenée par Richard Massey, du California Institute of Technology, n'a pas procédé autrement. Elle a mesuré, avec le télescope spatial Hubble, le rayonnement provenant d'un demi-million de galaxies situées dans une portion du ciel vaste comme neuf fois la surface de la pleine Lune! Puis reconstruit en trois dimensions une «éponge» de matière sombre. Dans la métaphore urbaine, cette carte apporte un gain d'informations sur la répartition des masses comparable à celui que livrent des clichés de la ville pris de jour plutôt que de nuit.
«Nous avons trouvé un réseau non structuré de filaments (de matière noire), en croissance, qui se rencontrent pour former des structures massives à l'emplacement des amas de galaxies», explique Richard Massey. Les théories sur la formation des galaxies sont ainsi confirmées: la matière sombre constitue une ossature autour de laquelle des gaz cosmiques se concentrent sous l'effet de la gravité; ils donneront naissance aux étoiles.
«Cette étude est très utile dans le sens où elle permet de dégonfler le débat sur la non-existence de la matière sombre, et assoit celle-ci comme une réelle entité», commente Daniel Pfenniger, astrophysicien à l'Observatoire de Genève. Toutefois, des différences entre les répartitions de matières sombre et visible ont été observées: certaines zones très denses de l'image en 3D sont par exemple quasiment vides de galaxies. Selon Richard Massey, ces dissemblances sont probablement dues à des erreurs dans l'acquisition des données. «Ce sont des curiosités plutôt que des soucis», avise de son côté Eric Linder.
Dans un commentaire publié par Nature, ce chercheur de l'Université de Californie relève que cette étude est «un grand pas [...] et donne une nouvelle vision excitante du côté obscur de l'Univers». «Ne reste plus qu'à faire la lumière sur sa composition», reconnaît Richard Massey.