Premiers spermatozoïdes humains fabriqués in vitro
Biotechnologie
Une start-up française affirme avoir cultivé des spermatozoïdes en laboratoire. Une première, qui attend sa validation par une revue scientifique

Spermatozoïdes humains fabriqués in vitro
Biotechnologies Une start-up française affirme avoir cultivé des cellules germinales masculinesen laboratoire
Une première mondiale, selon les auteurs, qui attendsa validation par une revue scientifique
Cultiver des spermatozoïdes humains en laboratoire: des biologistes français de la start-up Kallistem et de l’Université Claude-Bernard à Lyon y seraient parvenus. C’est du moins ce qu’ils ont annoncé à la presse ce jeudi 17 septembre. Ce tour de force, s’il est confirmé par une publication dans une revue scientifique à comité de lecture, constituerait une première mondiale, ainsi surtout qu’un immense espoir pour les hommes infertiles.
Cela fait une quinzaine d’années que les scientifiques se cassent les dents sur la culture de spermatozoïdes en laboratoire. Le processus – la spermatogenèse – est en soi complexe et fastidieux. Tout commence dans le testicule avec des cellules appelées les spermatogonies. A la suite d’une longue succession de phases de différenciation et de maturation cellulaires, ces dernières se transforment finalement en spermatozoïdes. Un processus long, qui prend 72 ou 73 jours chez l’homme (contre 34 chez la souris). «C’est un cauchemar à reproduire in vitro», confirme Serge Nef, du département de médecine génétique et développement de l’Université de Genève. «Il faut non seulement garder toutes les structures bien organisées, mais aussi tenir cette organisation pendant 72 jours», ajoute Isabelle Streuli, des Hôpitaux universitaires genevois (HUG).
En 2010, Philippe Durand et Marie-Hélène Perrard, biologistes chez Kallistem, sont parvenus à isoler le matériel biologique nécessaire à la spermatogenèse (les spermatogonies, les tubes séminifères, mais aussi certaines cellules de support). Mettant au point un dispositif de culture adapté, ils ont maintenu le système stable pendant quatre semaines. Un bon résultat, mais insuffisant.
Grâce à une collaboration avec Laurent David, de l’Université Claude-Bernard, ils ont par la suite mis l’accent sur les moyens de recréer, in vitro, un environnement le plus proche possible des conditions naturelles. Spécialisé dans l’étude des matériaux polymères, ce chercheur s’intéresse au chitosane, une molécule proche des chitines. Cette famille de glucides (sucres) est omniprésente dans la nature: on en trouve surtout dans la carapace des crustacés et des insectes, ou encore dans la paroi de certaines algues et certains champignons. Biocompatible, biodégradable, bactériostatique et fongistatique, le chitosane est déjà utilisé dans divers secteurs de l’industrie cosmétique, textile, alimentaire et médicale. En l’associant à leur dispositif de culture, les chercheurs de Kallistem sont parvenus dès 2011 à maintenir le système pendant toute la durée d’une spermatogenèse chez l’humain.
Baptisé Artistem, le dispositif consiste grossièrement en un tube de chitosane de quelques millimètres. Les biologistes y placent un peu de tissu testiculaire prélevé chez un homme souffrant d’infertilité, en veillant à préserver intactes toutes les structures. «Lorsque le tissu testiculaire est placé dans le tube d’hydrogel, il conserve un état et un confinement très similaire à celui observé naturellement dans notre corps, avec une architecture proche des conditions in vivo», ont écrit les chercheurs dans un communiqué. Il ne leur reste plus qu’à refermer les extrémités du tube et à laisser la magie opérer durant 72 jours avant de récolter les spermatozoïdes ainsi produits.
A quoi ressemblent-ils, ces spermatozoïdes? Morphologiquement, rien ne les distingue de leurs comparses naturels: ils ressemblent à de petits têtards frétillants. «Il faudra néanmoins vérifier s’ils sont bien fécondants, prévient Isabelle Streuli, et regarder s’ils sont parfaitement identiques aux spermatozoïdes normaux sur le plan moléculaire et génétique.»
«Si ces résultats sont vrais et réplicables, alors on peut parler de grande avancée. Ce serait fantastique», espère Serge Nef. Aujourd’hui des dizaines de milliers d’hommes demeurent infertiles sans qu’on puisse y faire quoi que ce soit. Il y a parmi eux ceux qui souffrent «d’azoospermie non obstructive sécrétoire». Dans ce type d’infertilité, les spermatozoïdes restent immatures et par conséquent non fonctionnels. Il y a aussi les enfants atteints de cancers: les chimiothérapies qu’ils subissent les rendent stériles. «On propose déjà à ces patients de prélever un peu de leur pulpe testiculaire pour la congeler, dans l’éventualité qu’un jour on puisse leur proposer de cultiver leurs propres spermatozoïdes», explique Isabelle Streuli.
Mais Kallistem n’en est pas encore là. Première étape: il faudra que ces résultats soient validés par une revue scientifique à comité de lecture, ce qui n’est pas encore le cas. «Nous avons soumis notre article il y a quelques jours», affirme Isabelle Cuoc, la présidente de la société. Pourquoi avoir communiqué avant? «C’est toujours mauvais signe qu’on court-circuite l’information scientifique», s’inquiète Serge Nef. «Nous aurions préféré attendre d’être publiés, mais d’autres équipes sont également sur le coup. Nous avons voulu montrer notre avance et prévenir que notre brevet venait d’être publié», répond Isabelle Cuoc, qui rappelle que sa société ne possède que des moyens bien modestes, et qu’il convient à présent de se faire connaître pour lever des fonds et poursuivre les recherches, sous peine de se faire doubler par la concurrence américaine et chinoise.
Deuxième étape, il faudra tester les spermatozoïdes, d’abord chez l’animal, afin de voir si les embryons et les bébés qu’ils produisent sont bien identiques à ceux produits naturellement. Or, la législation française – comme la loi suisse d’ailleurs – interdit de créer des embryons à des seules fins de recherche scientifique. Kallistem se retrouve donc face à un obstacle de taille, que la société devra contourner en obtenant une dérogation auprès des autorités réglementaires. Mais Isabelle Cuoc se veut optimiste. «Pour l’instant, le problème numéro 1, c’est l’argent. Les questions de réglementation viendront plus tard», entrevoit-elle.
«Si ces résultats sont vrais et réplicables, alors on peut parler de grande avancée pour tous les infertiles»
«La spermatogenèse est un cauchemarà reproduire dans des conditionsde laboratoire»