Chaque année en Suisse, une quarantaine d’enfants «intersexes» viennent au monde. Pas complètement fille ni totalement garçon, mais quelque part au milieu, ces nouveau-nés ne peuvent être catégorisés dans un genre ou l’autre en raison du développement atypique de leurs organes sexuels.

L’Australie a reconnu, en 2014, l’existence d’un troisième sexe ou «genre neutre». La Confédération est quant à elle longtemps restée muette sur la problématique de l’intersexualité. Une première étape a été accomplie en 2012, avec la rédaction par la Commission nationale d’éthique pour la médecine humaine (CNE) d’un rapport sur la gestion de ces enfants et sur les questions éthiques qui en découlent.

Au coeur du document, une quinzaine de recommandations visant le corps médical mais aussi les instances étatiques. Si les interventions chirurgicales trop précoces sont proscrites depuis 2005 déjà, dans le but de préserver l’intégrité et l’autodétermination de l’enfant, d’autres problèmes subsistent. La commission souligne notamment l’existence de discriminations juridiques liées à l’indétermination de sexe ou encore la difficulté, pour ces individus, de modifier sur leur acte de naissance l’inscription de leur genre.

Des recommandations que la Confédération assure avoir largement mises en œuvre dans un communiqué publié mercredi 6 juillet. «La majorité des recommandations émises par la CNE qui concernent la Confédération [portant entre autres sur les démarches d’état civil, ndlr] sont mises en œuvre ou en passe de l’être», peut-on lire dans le document.

Réactions de Maya Shaha, docteure en science infirmière et membre de la CNE.

Le Temps: Quelles évolutions avez-vous constatées depuis la publication du rapport?

Maya Shaha: J’ai l’impression que, depuis 2012, la problématique de l’intersexualité est devenue plus visible, on en parle d’avantage. Un peu comme pour l’homosexualité, l’opinion est plus ouverte par rapport à ces situations ambiguës de genre, et ces minorités sont aujourd’hui plus reconnues et valorisées. Je pense que le rapport de la commission a permis au grand public de mieux comprendre de quoi il s’agissait et d’en saisir les enjeux éthiques. Nous sommes même surpris par cette évolution des mentalités, qui est plus rapide que nous l’avions anticipée!

Du côté du corps médical, je dois dire que notre rapport a été très bien reçu. Par exemple, à l’Inselspital de Berne, où j’ai travaillé, il y a eu des démarches pour offrir aux familles une meilleure prise en charge, un suivi avec plus de ressources, d’experts en médecine et en psychologie notamment, afin de réfléchir avec elles sur les meilleures décisions à prendre.

- Où y a-t-il encore des progrès à faire?

- A mon avis, il y a encore une lacune certaine du système dans la prise en charge légale des enfants nés avec cette variation de développement sexuel. Le problème se pose en particulier lorsque la malformation de genre n’est pas directement identifiable dans les trois premiers jours après la naissance, parce qu’elle ne se manifeste pas de manière évidente. Ce n’est que quelques années plus tard que l’on se rend compte qu’il y a un problème, et à ce moment-là, la question de la prise en charge financière se pose: les caisses maladie et l’AI se renvoient alors la balle, car aucune règle légale n’encadre ce cas de figure. Si bien que personne ne veut assurer ces enfants.

- Le Conseil fédéral n’a pas donné suite à toutes vos recommandations…

- Dans l’idéal, nous aurions souhaité que soit institué un accompagnement psychologique gratuit pour ces enfants dès le plus jeune âge, comme cela a été fait à l’étranger. Quand les enfants grandissent, même avant l’adolescence, ils passent par des phases de vie où le sexe est très important: on se compare, on se pose des questions… c’est une situation très délicate à gérer émotionnellement. Le Conseil fédéral estime ce projet infaisable.

- La commission prône-t-elle l’adoption d’un «troisième genre», comme en Australie?

- Non, nous ne sommes pas pour ce «troisième genre». Il représenterait d’avantage un label, qui pourrait entraîner une plus grande stigmatisation de ces personnes présentant une variation de développement sexuel. Nous préférons que les changements liés à la question du genre soient effectués plus simplement, sans trop de bureaucratie.