Qu’est-ce qui nous attend? Un «guide du Covid-19» pour alarmer et donner espoir
Lu ailleurs
Un épidémiologiste de l’EPFL et une créatrice de jeux se sont alliés pour décrypter quel avenir nous réserve la pandémie. Ils ont créé un «simulateur de vol» du nouveau coronavirus

«Les pilotes s’entraînent avec des simulateurs de vol pour apprendre à ne pas écraser les avions. Les épidémiologistes simulent des épidémies pour apprendre à ne pas anéantir l’humanité.» Marcel Salathé, épidémiologiste à l’EPFL, et Nicky Case, ancienne game designer désormais vulgarisatrice scientifique, décryptent la propagation du Covid-19 dans un format interactif bourré d’un humour anglo-saxon intraduisible.
Présenté comme un «simulateur de vol très, très simple des épidémies», leur outil de vulgarisation n’établit pas de prévisions, mais présente des modèles de propagation du virus. Il emploie quatre symboles pour représenter les états qu’un individu peut connaître pendant la crise sanitaire: susceptible de contracter le virus, exposé, infecté et guéri. Le simulateur étant placé dans le domaine public, nous avons pu traduire et intégrer certaines des animations.
Le niveau de contagiosité du nouveau coronavirus préoccupe les épidémiologistes. Le taux de reproduction, abrégé en «R», est ainsi au centre des simulations. Il s’agit du nombre moyen de personnes que le porteur du virus infecte jusqu’à sa guérison (ou son décès).
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Le simulateur ci-dessous permet un calcul simplifié du taux de reproduction. Selon une étude préliminaire citée par les auteurs, une personne contaminée est susceptible d’infecter quelqu’un tous les quatre jours sur une période de dix jours, soit le temps moyen pendant lequel un individu est infectieux. Dans ce cas, le taux de reproduction s’élève à 2,50. Cela revient à dire qu’un malade contamine en moyenne 2,5 personnes.
La donnée obtenue est à prendre avec des pincettes: elle dépend également de la proportion de personnes qui ne sont pas «sensibles» au virus suite à une guérison ou à une immunité naturelle. Plus cette proportion augmente au sein de la population, plus le taux de reproduction diminue. Lorsque suffisamment de personnes sont immunisées (R inférieur à 1), la propagation du virus est maîtrisée.
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«Pour la grippe, l’immunité collective est obtenue grâce à un vaccin. Essayer d’obtenir une «immunité collective naturelle» en laissant les gens se faire infecter est une très mauvaise idée», soulignent Marcel Salathé et Nicky Case. Non seulement parce que c’est inhumain, mais surtout parce que si l’immunité ne dure pas, cela se révèle contre-productif.
La quête de précision dans le calcul du taux de reproduction laisse penser qu’un suivi exhaustif de la diffusion du virus s’impose pour la freiner. L’épidémiologiste réfute cette idée: «Nous n’avons PAS besoin de détecter toutes les transmissions, ni même presque toutes les transmissions, pour arrêter le covid-19!» Selon lui, il faudrait identifier 60% des infections pour en venir à bout.
Cinq scénarios
Le format didactique se poursuit avec la présentation de cinq scénarios pour les prochains mois. Le premier, qui consiste à ne rien faire, se révèle catastrophique pour les unités de soins intensifs, complètement débordées par l’afflux de patients. Dans un pays comme les États-Unis, on pourrait atteindre 1,2 million de morts.
Cette hypothèse balayée, un deuxième scénario est avancé: aplatir la courbe du nombre de malades. L’adoption de mesures d’hygiène, comme le lavage fréquent des mains, et de règles de distanciation physique permet d’éviter un pic dévastateur. Mais la charge reste lourde pour les hôpitaux et la situation n’est pas tenable. «Toute tentative de réduction de la transmission échouera. La seule issue est la suppression.»
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Un confinement n’est pas un remède, c’est un nouveau départ
Un confinement de longue durée – le troisième scénario – permettrait de réduire drastiquement les infections, mais tout l’effort serait anéanti par la moindre personne contaminée au moment du déconfinement: «Un confinement n’est pas un remède, c’est un nouveau départ», martèlent Nicky Case et Marcel Salathé.
Confinement intermittent
Le quatrième scénario, un peu plus vraisemblable, consiste en un confinement intermittent. Il s’appuie sur une suggestion de l’Imperial College de Londres, étudiée dans un travail de recherche publié par Harvard. Résultat: les unités de soins intensifs d’un pays tel que les Etats-Unis ne seraient pas débordées. Il ne s’agit pas d’une prévision, mais d’une modélisation de la maladie selon un scénario prédéfini, qui ne tient pas compte par exemple du fait que la capacité des soins intensifs pourrait être renforcée. Testez ce modèle à l’aide de l’animation ci-dessous:
Un confinement répété aurait cependant de lourdes conséquences sur la santé mentale de la population ainsi que sur l’économie.
Le cinquième scénario représente ce que Taïwan et la Corée du Sud sont parvenus à accomplir: juguler l’épidémie sans confinement, grâce à la méthode «tester, tracer, isoler».
Près de la moitié des contaminations se produisent avant l’apparition des premiers symptômes, d’après une étude publiée dans Nature. Si les personnes contaminées se mettent en quarantaine seulement lorsqu’elles se savent infectées, le virus peut continuer de se propager. La solution consiste à détecter et isoler les contacts récents des porteurs du virus.
Interroger les personnes infectées pour retrouver celles avec qui elles ont été en contact est trop lent et peu fiable. La Corée du Sud est parvenue à les tracer notamment au moyen des coordonnées de localisation enregistrées par les smartphones, mais son système pose de nombreux problèmes de protection des données personnelles.
Responsable du groupe d’experts «épidémiologie numérique» à l’Office fédéral de la santé publique, Marcel Salathé pilote la mise en place d’une application de traçage qui se veut respectueuse de la vie privée. Elle s’appuie sur des échanges directs entre smartphones. Le principe cryptographique à l’œuvre est détaillé dans une BD dessinée par Nicky Case.
Comment gagner contre le Covid
Est-ce trop tard pour le traçage des cas? Non, puisque le confinement «offre un nouveau départ», rappellent les auteurs. «Isoler les cas symptomatiques réduirait R [le taux de reproduction] jusqu’à 40%, et mettre en quarantaine leurs contacts présymptomatiques ou asymptomatiques les réduirait jusqu’à 50%», résument-ils en citant une étude d’Oxford prônant l’emploi d’applications de traçage.
Un confinement suivi du «tester, tracer, isoler»: voici donc «comment on gagne contre le Covid-19». L’étape d’après serait la vaccination, pour atteindre l’immunité grégaire. Ou, sans vaccin, le port du masque pour tous, la poursuite du traçage et le maintien de normes d’hygiène stricte pour s’assurer que R reste inférieur à 1. De nombreux autres scénarios et simulations sont proposés sur la page interactive de Nicky Case.
Certes, ces simulations s’appuient en partie sur des études préliminaires et intègrent des facteurs dont il est difficile de mesurer l’impact exact. Et les véritables modèles de simulations employés en recherche épidémiologique sont nettement plus complexes. Mais le «simulateur de vol» de Nicky Case et Marcel Salathé montre, pas à pas, comment effectuer un «atterrissage d’urgence» durant une pandémie de Covid-19.
Ne pas minimiser la peur
L’épidémiologiste et la vulgarisatrice scientifique exhortent les acteurs de la société à prendre leurs responsabilités: tout le monde doit «respecter le confinement» pour qu’on puisse en sortir et se préparer à l’étape du «tester, tracer, isoler». Le législateur doit «écrire des lois qui soutiennent les personnes en quarantaine» et «allouer des fonds pour construire le matériel nécessaire». Quant aux builders – les «bâtisseurs» – ils doivent «créer du matériel de test, des respirateurs, des masques, des hôpitaux, des traitements, […] et de l’espoir».
Surtout, concluent les deux auteurs: «Ne minimisez pas la peur pour renforcer l’espoir. La peur doit faire équipe avec l’espoir, comme pour les inventeurs des avions et des parachutes.»
Consultez «What Happens Next?», la page créée par Nicky Case et Marcel Salathé (en anglais): ncase.me/covid-19/ Pour contribuer à la traduction en français: github.com/ncase/covid-19/issues/4