Le réchauffement change la durée de nos automnes
Climat
Plus courts, plus longs selon les endroits: en 2045, les automnes pourraient être profondément modifiés. Et ce sont les arbres qui vont trinquer

Chaque année, en automne, les forêts des régions tempérées de la planète se drapent de couleurs parfois spectaculaires. Qu'en sera-t-il dans cinquante ou cent ans, au fur et à mesure que le climat terrestre se réchauffe? Une équipe américaine tente d'esquisser dans la revue PNAS ce que deviendrait une vaste région forestière du nord-est des Etats-Unis.
Quand vient l'automne, les arbres à feuilles caduques se préparent pour l'hiver. Avant de s'endormir, ils vont ainsi récupérer de précieux nutriments dans les feuilles, de l'azote et du phosphore notamment, avant que celles-ci ne se détachent et tombent sur le sol. «Les arbres prélèvent aussi des sucres dans les feuilles pour les stocker dans le tronc. Les molécules de chlorophylle sont alors détruites et le mécanisme de photosynthèse s'arrête», explique Nicolas Delpierre, spécialiste de la phénologie des arbres - l'étude des cycles annuels du vivant - à l'université française d'Orsay. Apparaissent alors toutes sortes de pigments invisibles en été car masqués par la verte chlorophylle, qui provoquent ces magnifiques 'incendies' de couleurs dans les forêts.
Démarrage de la 'dormance' hivernale
A l'Université du Connecticut, une jeune étudiante américaine, Yingying Xie, a choisi de consacrer sa thèse aux feuillages d'automne. Et plus particulièrement à leur avenir, dans un climat marqué par un réchauffement et une augmentation des phénomènes extrêmes. Grâce aux observations des instruments Modis, qui scrutent la terre depuis deux satellites de la NASA, elle a pu déterminer la date de démarrage de la phase de 'dormance' hivernale sur un immense zone forestière à cheval sur quatre états du nord-est des Etats-Unis, d'une superficie proche de trois millions d'hectares.
«Avec l'automne, la verdeur du feuillage diminue progressivement. Le début de la phase dormante correspond au moment ou cette verdeur atteint son minimum, explique Yingying Xie, auteur principal des travaux publiés aujourd'hui dans PNAS. Il y a surtout eu jusqu'ici des études sur le début du printemps, car c'est beaucoup plus facile. Le feuillage apparait très rapidement, en moins de trois jours, tandis que la disparition de la chlorophylle se produit sur environ un mois.»
Forts de ces observations sur une période de douze ans, de 2001 à 2012, Yingying Xie et ses collègues ont rassemblé les données météorologiques correspondantes, relevant les température minimales et maximales, la quantité de pluie tombée, les fortes chaleurs, les périodes de sécheresse, la présence de gel ou de givre etc. De quoi établir une relation entre ces données environnementales et les observations par satellite. Puis, à partir de modèles de simulations climatiques dans deux scénarios de réchauffement - l'un modéré et l'autre extrême - le groupe a simulé ce que les satellites pourraient observer vers 2045 et 2095.
Jaunissement des feuilles en automne from Le Temps on Vimeo.
«La région étudiée recouvre deux zones climatiques différentes, explique Yingying Xie. Au nord il s'agit de paysages de moyenne montagne avec un climat doux et humide. Au sud, c'est une région de plaines côtières et de collines qui est plus sèche.» Et comme les chercheurs s'y attendaient, la végétation devrait évoluer différemment avec le climat: on constate qu'au nord, le début de la phase de dormance sera plus tardif, jusqu'à dix jours. Au sud, c'est l'inverse: les arbres se prépareront plus précocement pour l'hiver, parfois trois semaines plus tôt qu'aujourd'hui bref, leur automne raccourcit!
«C'est l'un des tout premiers travaux qui essaie de tenir compte de nombreux facteurs environnementaux, commente Nicolas Delpierre. La plupart des études s'étaient surtout focalisées sur la température.» Celles-ci constataient que le réchauffement climatique tend à retarder le jaunissement en automne. C'était notamment le cas de travaux publiés par Nicolas Delpierre et des collègues de Harvard en 2013 dans la revue PLoS One, à partir d'observations sur le terrain et de modélisation, à l'échelle d'une forêt modeste —1500 hectares au cœur du campus de Harvard. «Mes collègues constatent eux que dans le sud de leur région d'étude, on assisterait au contraire à un jaunissement plus précoce du feuillage —et donc à un raccourcissement de la période de préparation automnale, en raison d'une augmentation du stress hydrique.»
Quelles conséquences peut-on envisager de ces évolutions forestières? «On peut imaginer qu'un raccourcissement de la période de jaunissement perturbe le redémarrage de la végétation au printemps par manque de nutriments», analyse Yingying Xie. «On sait que les événements extrêmes de température, comme la canicule en Europe en 2003, peuvent faire tomber les feuilles avant que les arbres n'aient pu récupérer leurs nutriments. Si cela se répète, cela finit par être préjudiciable aux arbres», confirme Nicolas Delpierre.
Un impact possible sur le tourisme
Cela influerait-il sur l'ensemble de l'écosystème forestier? «On ne sait pas très bien expliquer la raison de ces changements spectaculaires de couleur en automne. Mais on pense qu'ils pourraient constituer un signal des arbres—associé peut-être à la sécrétion de molécules— pour dissuader certains insectes de venir s'installer.»
L'évolution futures des automnes pourrait bouleverser ce qui est, aux Etats-Unis et au Japon, une véritable industrie. «Dans ces pays, les changements de couleur sont beaucoup plus spectaculaires que ce que nous connaissons en Europe, en raison d'une plus grande diversité d'espèces. L'automne déplace les foules, ce qui représente des milliards d'euros pour le tourisme!»